Attentats : quand l’empathie devient stratégie guerrière

Une société qui ne connaîtrait pas le sentiment d’empathie ne connaîtrait pas le terrorisme. Qu’est-ce que le terrorisme ? Le terme est affreux à écrire, mais le terrorisme n’est rien d’autre qu’une abominable et inhumaine opération de communication. Son objectif est de terroriser. Faire des victimes n’est absolument pas une fin en soi, simplement un moyen. Une victime, pour peu que son meurtre soit mis en scène avec cette « intelligence » diabolique propre aux commanditaires, crée un impact équivalent à cent ou mille victimes.

Quelques dizaines, centaines ou milliers de victimes peuvent alors déclencher des guerres, accords ou désaccords, séismes politiques. D’ailleurs, lorsqu’on regarde l’histoire du monde, on s’aperçoit que les éléments déclencheurs des guerres sont bien souvent des tragédies somme toute « minimes » (du moins numériquement) comparé à ce qu’un conflit armé entre deux pays peut entraîner. Il arrive même que la mort tragique d’une seule personne entraîne tout un pays entier dans une guerre longue et sanglante.

empathie (français)

Pour évoquer les attentats : on a parlé d’acte de guerre, mais c’est à mon sens un terme mal choisi. Une guerre ne se joue pas tant sur un plan psychologique que matériel. Entre deux pays en guerre, l’objectif est de détruire l’arsenal armé et de prendre des bâtiments-clés (casernes, parlement, mairies, sénat, radio nationale….), tout en s’installant coûte que coûte sur un territoire.

Plus le conflit armé est d’envergure, plus la mort est tristement banalisée.

Cela ne fait pourtant pas de nous des monstres. L’esprit humain est ainsi, il s’habitue à tout. Si l’on vivait plusieurs années en état de guerre, on serait forcément moins choqué au cent millième mort qu’au premier. Et ce, quelle que soit notre sensibilité.

L’énorme émoi provoqué par ces attentats prouve justement que non seulement nous ne sommes pas en état de guerre, mais qu’en plus l’objectif des commanditaires n’était pas, selon moi, de commettre un acte de guerre. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’impact recherché est avant tout psychologique, faisant appel à notre sens de l’empathie.

Lorsque la mort est « mise en scène »

Imaginez voir cela en Une du journal :
« Week-end de la Toussaint meurtrier en France : 176 morts sur les routes. Le gouvernement appelle à plus de prudence et renforce les contrôles ».

Seriez-vous choqué par le titre ? Oui sans doute, dans une certaine mesure. Lisant cela, on espère que personne de notre connaissance ne fait partie des victimes. Puis, on réfléchit et on se promet d’être soi-même plus prudent sur la route, désormais.

Puis… à priori, on passe à autre chose. On n’est pas traumatisé par la nouvelle. Elle ne nous plonge pas dans la dépression, ni dans un état d’angoisse et de torpeur s’étalant sur des jours ou des semaines entières. Pourquoi ?

. Parce que les accidents de la route font partie « de la vie courante ». Selon l’attitude de chacun au volant, les chiffres peuvent bien entendu être plus hauts ou plus bas. Néanmoins, quoi que l’on fasse, il y en aura toujours.
. Parce que de tels drames se sont banalisés depuis des décennies. Ce n’est pas la première fois que l’on entend parler d’un « week-end meurtrier » sur les routes. Le terme même est devenu un classique des médias.
. Parce que ce n’est pas centralisé : plus le drame est dispersé, moins il a d’impact.

En somme, il y a moins de repères pour que nous puissions faire preuve d’empathie. Si par contre un drame routier se produit dans votre quartier en faisant 17 morts, soit dix fois moins, vous vous sentirez certainement beaucoup plus touchés. Car les 3 points sont réunis :

. Centralisation du drame
. Proximité géographique
. Caractère exceptionnel

Mais ces trois éléments restent liés à la simple fatalité. Car quoi qu’il arrive, les drames de la route, cela arrive… et sans que cela soit nécessairement la faute de quelqu’un en particulier. On note que plus on a de repère matériels, plus le sentiment d’empathie se met en place. Il se met presque en place de façon « automatique », telle une réaction chimique du cerveau. En réalité, nous sommes très liés à des mécanismes. Bien souvent la haine, la compassion ou la joie que nous ressentons ne vient pas forcément du fait que nous sommes des êtres haineux, compassionnels ou joyeux, mais plutôt que des éléments extérieurs se sont mis en place qui ont enclenchés ces réactions. La vraie différence entre un être et un autre étant alors le degré de chaque sentiment, et sa puissance bénéfique ou destructrice.

L’empathie : sentiment intérieur dirigé par des conditions extérieures

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Est-on traumatisé à chaque fois que l’on entend parler d’un attentat particulièrement sanglant dans le monde ? Non, bien entendu. Il n’y a pas à en culpabiliser, car tout ceci est logique. Les éléments ne sont pas les mêmes :

. Non proximité géographique (généralement, des milliers de kilomètres nous séparent du drame)
. Caractère tristement « banal » (depuis bien des années, il ne passe pas une semaine sans qu’il n’y ait au moins un attentat d’envergure dans le monde)
. Décentralisation du drame (à force d’en entendre parler, on ne sait même plus vraiment où cela se passe tant de pays et de villes sont touchés tout au long de l’année)

De fait, les mécanismes du cerveau mènent à moins d’empathie. On a du mal à s’imaginer, soi ou un proche, pris dans de tels drames. Ils nous paraissent trop loin, et même trop flous.

En somme, il faut bien le reconnaître, l’importance que l’on accorde à un décès ne dépend pas tant du décès en lui-même que des circonstances.
(Sauf dans le cas du décès d’un proche, bien entendu).
Plus la façon dont le décès est survenu est horrible, plus l’empathie se renforce. Sentiment se renforçant d’autant plus si le drame est arrivé près de chez soi (qu’il s’agisse de quelques kilomètres ou quelques centaines). Et plus encore s’il y avait derrière une volonté de destruction de la part des exécutants. L’impact d’une mort accidentelle étant bien sûr considérablement différente que l’impact d’un homicide.

Empathie enclenchée… terroristes vainqueurs ?

Certes non ! Ou tout du moins pas forcément.
On ne doit pas nier son empathie. En fait, tout sentiment doit pouvoir se ressentir pleinement, quel qu’il soit, sans que l’on tente de le réfréner. Qu’il s’agisse de tendresse, de peine, de colère, d’amour ou de haine.

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L’empathie est un sentiment étrange car il est ambiguë : d’une part, c’est une émotion noble et sincère, d’autre part elle est traumatisante. Tout particulièrement lorsque ladite émotion est liée à ce type d’évènements. Lors des attentats du 11 septembre 2001, on n’a pu s’empêcher de s’imaginer bloqué dans une tour en n’ayant rien d’autre à faire que d’attendre la mort. Pour les attentats de Paris, on ne peut s’empêcher de s’imaginer tué à la terrasse d’un café, ou enfermé dans une salle de concert. Il est d’autant plus simple de s’imaginer cela que les cibles ont été choisies dans cet objectif : des lieux que tout le monde connaît. Nous sommes tous au moins une fois dans notre vie montés dans une tour, avons tous assisté à un concert ou pris un verre à la terrasse d’un café.

OUI, l’objectif des commanditaires d’attentats est bien d’enclencher en nous le sentiment d’empathie. Et sur ce point, ils sont toujours sûrs de réussir leur coup, car l’empathie se déclenche automatiquement en chacun lorsque certains éléments extérieurs s’additionnent, comme nous venons de le voir.

Seulement, l’objectif de ces attentats n’est pas de déclencher l’empathie pour l’empathie. Ce n’est que la première étape. L’idée est d’enclencher l’empathie afin de mener à l’angoisse, la terreur, la haine et la colère. En somme, la déstabilisation de tout un pays.
(Je ne prétends pas que c’est l’unique objectif…. Mais concentrons-nous sur celui-ci).
L’essentiel n’est donc pas de ressentir ou non de l’empathie (chacun en ressentira de toute façon, d’une manière ou d’une autre).

Toute la question est de savoir que faire de cette empathie

Car notre monde, tout comme notre corps et notre âme, est en perpétuelle évolution (nous sommes dans un univers au fonctionnement fractal !). L’empathie n’est qu’un ressenti éphémère : il est amené à se métamorphoser en un sentiment plus durable. Lequel ? Tout dépendra de chacun. Tout dépendra sur quoi on décide de travailler. On peut se mettre à vouloir faire la guerre partout dans le monde, on peut se mettre à haïr les musulmans. On peut également se mettre à réfléchir, à travailler sur soi, son amour, son rapport aux autres. Il n’y a aucune fatalité. Les émotions premières et primaires, on ne les contrôle pas. Ce que ces émotions deviennent, on le contrôle. C’est à chacun d’en décider. Puisse l’empathie devenir amitié, amour, joie de vivre et partage !

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