Emilie joue près de son petit frère, à la plage. Un petit groupe la regarde… Comme si on cherchait à la mettre au défi. Intimidée, elle se fait toutefois violence et… ose. Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
Surtout ne pas montrer sa peur. Si je la montre ils feront qu’une bouchée de moi, se dit Emilie. Qu’allait donc lui dire cette grande godiche ?
— Salut ! S’cuse moi…
Le ton est goguenard, peut-être pour se donner une contenance.
Elle aussi semble un peu intimidée, maintenant qu’elle est plus proche. De fait, à cette distance elle est moins impressionnante : une blondasse un peu maigrelette avec un maillot deux pièces style Miami Beach (ou Miami Bitch). Ça se donne de grands airs alors que c’est rien qu’une petite gamine comme une autre.
— Dis, qu’est-ce que tu penses de lui ?
Elle lui désigne du doigt un garçon du groupe, un petit brun avec short à fleurs. Ça doit être une sorte de défi qu’ils se sont lancés.
— On se demandait ça…
— Qui ça ?!
— Lui, là-bas.
— Ce que je pense de lui ? Heu… je le connais pas.
— J’veux dire, comment tu le trouves physiquement ?
— …J’en sais rien.
— Elle en sait rien ! Cria-t-elle à ses copains.
— Insiste ! Lui lança le plus grand, sans doute l’initiateur.
— Tu peux insister si tu veux, mais tu sais vraiment j’en sais rien. J’ai pas d’avis. Et toi comment tu le trouves ?
C’était sorti tout seul. Apparemment la petite blonde ne s’attendait pas à la question.
Posée en la regardant droit dans les yeux. De quoi déstabiliser. La fille rigola bêtement.
— Heeuuu… en fait… J’en sais rien non plus. On s’est demandés ça quand on t’a vue. On jouait à Action ou Vérité, tu connais ?
— Bah oui, tout le monde connaît.
— Tu veux jouer avec nous ?
Ah non ! Elle n’osait même pas imaginer ce qu’on allait lui demander.
La première question c’était le niveau soft, et puis ça allait crescendo. Avec un tel jeu, on pouvait aller de « bouffe du sable » à « décris comment t’imagines ta première coucherie ».
— J’ai mon château à finir. Viens, aide-moi une minute !
Ayant vu que la blonde pouvait être dominée avec facilité, Emilie avait pris le pas sur elle. Domination, soumission… encore ce petit jeu, auquel, pour le coup, elle était forcée de jouer. Autant être gagnante. Pendant ce temps, Brian construisait.
— Bah ! Je peux pas, je suis avec eux.
— Ils te tiennent en laisse ?
— (Rire nerveux) Mais non…
— Dis-leur de venir. Ça peut faire partie d’Action ou Vérité. On dit que je joue, donc Action, et je te demande de m’aider.
— Alors, elle veut pas ? Lança le grand. Allez, on en a marre de jouer juste entre nous !
— Viens au lieu de crier ! Répondit sa copine.
Il se lève et s’approche lui aussi. Les autres le suivent, dociles, de vrais petits moutons.
— Elle peut pas jouer mademoiselle fait un château de sable !
— Et tu fais toujours des trucs aussi gamins ?
— Action ou Vérité c’est pas pareil ? Répondit Emilie.
Cette fois, c’était le grand qui ne savait plus quoi dire.
Emilie n’en revenait pas de son culot et de sa répartie. Elle ne serait pas crue capable du quart.
— Mon frère y joue et il a seize ans.
— Ça, c’est juste parce qu’il veut rouler des pelles aux filles et il a pas les couilles de leur demander autrement ! Lança le petit brun.
— Aidez-nous un peu, ça fera plaisir à mon petit frère.
Le petit frère s’en foutait bien, il construisait sa partie du château, dans son monde à lui. C’était juste une perche tendue : pour leur fournir un alibi. La blonde se décida.
— Allez, on peut bien l’aider deux minutes.
Le grand rigola bêtement à son tour (à cet âge on rigole bêtement du soir au matin).
— Ouais, si tu veux… allez, on va faire un super zoli château de sable, avec des créneaux et tout, puis après j’irai chercher mes tites voitures !
Le grand avait ajouté un second alibi : le ton de la déconnade entre potes. Dès que ce ton était lancé tout devenait possible, même une marelle ou une dînette. Et voilà tout le monde mains dans le sable. Pour encore mieux se dédouaner ils parlent en zozotant comme des tout-petits, ils sont gentiment cons se dit Emilie, soudain comme attendrie. A présent il s’agit de faire un château qui ait de la gueule, ce qui ne va pas être simple avec une équipe pareille. Emilie les place, les dirige, on enjambe le petit Brian qui s’en fout toujours autant. La petite se montre patiente et pédagogue. Comment faire des tours qui ne s’effondrent pas, tracer des douves avec le doigt, faire un toit en pointe…
Chacun entre dans le jeu sans s’en apercevoir. Ils ne sont pas si mauvais, leurs propres souvenirs de châteaux reviennent. Faire un château c’est comme faire du vélo, ça ne s’oublie pas. Le chantier avance vite, le groupe est pris dans le tourbillon de la création. On ajoute des coquillages, des chemins de cailloux, on donne des idées. D’autres enfants tournent autour, scrutent. Des adultes s’approchent, certains prennent l’œuvre en photo, les enfants sont super fiers.
Chacun lui a dit son nom et connaît le sien, elle les aura oubliés ce soir.
Ce qu’elle retiendra, c’est le moment passé.
A l’heure de partir, le château est devenu une petite attraction. Le grand suggère en plaisantant de demander des pièces aux gens.
— Elle avait raison Emilie ! Dit la blonde. C’était marrant en fait.
— Surtout ça a de la gueule ! Ajoute le petit brun.
La mer montait, allait bientôt lécher les premières rigoles.
— T’es là demain ? dit l’une.
— Non… demain on part.
— Ah c’est con, dit poliment (sincèrement ?) la brune.
Ils échangèrent encore quelques mots, puis le groupe quitta la plage.
Elle n’aurait pas tenu à les revoir. Emilie avait remarqué leurs chuchotements débiles, leurs petits rires, leur jeu hypocrite d’Action ou Vérité. Dès demain matin ils redeviendraient pleinement idiots. Ils se remettraient à parler de cul en gloussant, à se peloter en faisant genre je te fais des chatouilles, à s’interdire tout ce qui est bon (de colin-maillard à la corde à sauter), à se juger, à s’ennuyer ferme. Si elle les revoyait ils n’accepteraient plus de jouer, même l’envie présente. Ils exigeraient de l’emmener dans leur univers à eux, leur non-monde.
Ne pas les revoir était parfait, et la petite était heureuse de les avoir remis à leur place le temps d’une après-midi,
leur place d’enfants, qu’ils étaient pourtant si pressés de quitter.
Allez savoir pourquoi. Satisfaite pour son ego personnel tout en restant lucide : elle ne les avait pas changés.
La plage se vidait. Avec nostalgie, Emilie regardait le château prendre l’eau. Le frangin avait toujours le nez dans le sable. Laurence allait encore gueuler… la veille une Emilie pleine de sel, le lendemain une Emilie pleine de sable, plus un Brian, on allait encore manger de la soupe de poissons.
— Brian, faut y aller là ! Arrête de tracer des labyrinthes. Puis t’aurais pu dire au revoir aux copains.
— Qui ?
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