Deux poèmes de mon recueil, pour réfléchir, sourire et se divertir sur quelques petites questions existentielles. Cette semaine, une petite histoire sur la superficialité, et une autre sur notre rapport à la nature.
Les rescapés du samedi soir
C’était une soirée pas comme les autres… sans spectacle ni artifices
Picole, pétard ? Non, même pas… à peine une ombre de fumée
Les décibels eux-mêmes se faisaient tout petits
De l’extérieur, rien de bien percutant
Auberge où chacun apporte sa garniture : un mot, un sourire, une parole ou un souvenir
Un délire ou une passion
Une question, une réflexion, ou même une incompréhension
Soirée pas comme les autres. Non, vraiment pas
L’anecdote contée n’était pas inventée…
On ne cherchait nullement à épater
Ni autrui, ni la galerie
La communication était sans prétention
Dialogues étouffant les monologues
Personne ne se coupait, et les voix
Ne transperçaient rien, ne transperçaient pas
Et puis quelques petits silences de connivence
On ne cherchait pas à avoir raison
Prendre de l’avance
Ou masquer ses ignorances
Oui, ce soir les mots sonnaient justes
Instant magique, si rare, où on croit connaître l’inconnu mieux que son ami
Nous en étions à refaire le monde
Lorsqu’on s’est dit que ça ne pouvait durer
C’en était trop
Ces attitudes marginales, quelle arrogance !
Oui mais cette ambiance, à présent, on n’arrivait plus à la quitter !
Que faire ? Seul un super-héros pouvait nous tirer de ce mauvais numéro
Heureusement, Super-Ficiel répond toujours présent
Il a troqué ses lunettes contre cape et costume, a volé à nous poings au vent
Et voilà, sous nos yeux éberlués, Super-Ficiel provoquant en duel la complicité
Avec une fougue sans pareille, il combat aussi simplicité, franchise et amitié
Des sentiments lui font résistance
Mais le costaud eut raison de tous les « mots »
(Qu’on écrive cela comme on voudra)
Avant de partir, il nous a laissé :
Picole et pétards en guise de masques
Décibels pour couvrir nos manques
Vantardise pour fuir nos complexes
Il nous fit même cadeau de quelques jalousies et pitreries
Ouf !
Nous voilà enfin de nouveau des gens bien comme il faut
Que seraient donc nos vies sans ces super-héros ?
————–
De l’être à l’hêtre
Ces derniers temps je m’éloigne. De tout. Tout ce qui touche à ma vie d’humain devient flou. Tout va bien… mais je m’éloigne.
Je prends mes distances, et ma désinvolture devient sans compromis. Claire comme de l’eau, pure comme du sable.
Je ne sais pourquoi, ces temps-ci c’est ainsi : j’ai comme l’impression de devenir un arbre.
Tout a commencé devant le poste. Fatigué, lassé par mon labeur, un moment est venu, j’ignore lequel, où mon esprit, soudain, est devenu sec.
Je suis resté des heures dans un monde merveilleux, d’une plénitude sans égal, devant un programme inconnu.
Ma femme m’a sorti de cet état de plus en plus végétal.
« Enfin, tu vas prendre racine ! »
Depuis, cette sentence résonne en moi. L’idée a germé, poussé, grandi.
Et depuis j’y prends goût. En toute occasion, je retrouve ce monde végétal. Cet univers sans joie ni peine, où les années passent comme des heures ou les heures comme des siècles. J’y suis vivant comme jamais.
Tout ce qui est chair se met à me peser. Respiration, battements de cœur, sensations, émotions. Tous ces poids me retiennent tels chaînes et boulets.
Mes besoins vitaux deviennent de vraies tortures. Pas à pas, peu à peu je m’éloigne encore.
Mon âme s’est trompée de cible : elle visait une plante, elle est tombée sur un os.
Il est temps de rectifier le tir : je pars en forêt.
La marche est lente, rien ne presse. Chaque nouveau pas prend plus de temps que le précédent. Ici, pour la première fois de ma vie je me sens chez moi, en mon élément. Ici où aucun patron, aucune épouse, aucun ami ne viendra me chercher. Les oiseaux ne s’y trompent pas, je les frôle sans qu’ils ne s’envolent.
Ça frémit sous ma peau, je sens mon corps creux et vide se remplir de sève. Plus un pas.
Mes doigts s’affinent et deviennent feuilles, mes bras s’écorcent et deviennent branches.
Mes pieds deviennent racines, c’est comme si mon corps s’enfonçait dans le sol. En fait, ce n’est pas comme si : il s’enfonce pour de bon.
Relié au ciel et à la terre, comme si j’étais moi-même un peu l’un et l’autre. Exquise sensation… Je profite des quelques émotions, encore vaguement humaines, qui me restent à vivre. En souvenir. Mais les quitte sans regret.
Tout mon être se dresse. Je lève les bras (mais sont-ils encore des bras ?) vers les nuages. Ils ne redescendront plus. Plus jamais : ça y est, je suis devenu arbre.
Lequel ?
Un hêtre, peut-être. Un arbre ignore le nom dont l’humain l’a affublé.
Ecorce lisse, tronc droit, bois aux mille teintes.
Cette illumination que recherchent les moines bouddhistes, la voici en moi.
Vingt-huit disques sous ma peau d’écorce témoignent des années passées à attendre ce moment béni. Et tant à vivre encore, des siècles entiers sans doute.
Calme, serein, apaisé.
Aucune sensation, aucune émotion : vivant. Vivant, tout simplement.
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