Curieux ! Lorsque Emilie et Benjamin échangent, ils croiraient avoir vécu mille ans. Pourtant, ils sont bien des enfants, fugueurs, en l’an 2100. Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
Le soleil venait de toucher l’horizon. La journée avait été riche tout en ayant filé comme une flèche. Une fois de plus. Ils s’assirent sur le sable, l’un contre l’autre pour mieux supporter le vent frais. D’autres vacanciers s’étaient déplacés pour le spectacle… Un père passa leur prêter une couverture en trop.
— Vers mes huit ans je passais mes journées à me balader dans la rue, dit Ben. C’est là que je suis devenu voleur d’instants. Les passants au square, sur les boulevards, à la sortie des écoles… J’étais invisible, je pouvais examiner qui je voulais, suivre des gens.
— T’allais prendre chez les autres ce qu’y avait pas chez toi ?
Pour imaginer vivre leur vie ?
— J’adorais grimper aux arbres. Dans ma ville y avait aucun arbre. Alors que je me suis mis à grimper aux murs. Jusqu’au balcon d’une copine de classe. Pour lui déclarer ma flamme en mode romantique, tu vois ? En plus là pour le coup, y avait un jardin avec un vrai arbre, comme dans les contes. Et là, bah… je l’ai vue dans sa chambre se déshabiller pour aller à la salle de bains. J’ai perdu tous mes moyens… failli tomber de la branche. La vision m’a plus quitté. C’est là que je me suis rendu compte ! Des tas de choses se passaient aux fenêtres sans vis-à-vis. Et des vis-à-vis, j’allais en créer des tas. A leur insu.
— Et t’es devenu expert en la matière. Expert de nuit.
— La nuit qui dévore les âmes ! Qui offre des trucs incroyables à voir et à faire, qui ne se terminent jamais.
— C’est comment la nuit dans la rue…
— Moins avouable que le jour. J’ai cultivé le goût du risque et de l’interdit. On y croise… pas mal de gens qui traînent, et t’entraînent dans des histoires pas nettes. On n’est pas dans les contes. Plutôt dans les légendes urbaines glauques. L’espionnage aux fenêtres c’est rien. Que dalle. Si j’en parlais aux voyous que j’ai connus ça les ferait marrer, pour eux c’est même pas du délit.
— Plutôt du gâchis.
— T’as tout compris ! Pour eux quand t’as comme moi le talent de te faufiler partout sans te faire voir, faut t’en servir pour devenir riche.
— De ton point de vue c’était le cas. Riche d’instants volés. Ils en savaient rien ?
— Pour ainsi dire non, on m’aurait pris pour un fou. Dans le milieu c’est important de rester crédible.
— Et t’as jamais été tenté ? De visiter les maisons et tout piquer.
— Non, la propriété privée c’est sacrée. Tu vois ? J’ai toujours eu, heu… une… éthique. En un sens. Tu sais, je te raconte pas tout ça pour t’épater. Je sais que ça t’épate pas. T’es pas le genre de fille qu’on épate. Pas vrai ?
— Si ! Mais pas avec ça, c’est vrai. Benjamin, t’as pas besoin de ça pour m’épater.
Emilie réfléchit… et si cette obsession était une recherche de liberté ? Dont la nudité en était le symbole le plus pur ? Peut-être aussi couplé à une recherche de grâce. Il n’y a rien de plus gracieux qu’une fille dans son plus simple appareil, oui c’était vrai. Sans doute… Baigner dans un océan de laideur, à la maison, dans la rue… Puis s’attendrir devant une vision angélique.
En fait ce n’était pas du tout si absurde, et même assez logique. Ça tenait presque de la logique du poète, prêt à gravir une montagne au péril de sa vie juste pour admirer le paysage. Certes, quelque part il avait pris des stocks de pureté pour en faire des kilos de perversion, mais l’humanité entière n’en était-elle pas là ?
— J’ai plus peur qu’ils nous reprennent, dit Emilie. Plus du tout peur maintenant.
— Moi non plus. Leur victoire serait de très courte durée.
— Même dans la plus profonde des cages on finirait par leur échapper. Et par se retrouver si on le veut.
— Même derrière des barreaux on resterait libres.
Ils étaient si paisibles, Benjamin y aurait vu comme la fin d’un film. Fondu au noir, puis rideau. Seulement, ils étaient dans la vraie vie… et toujours recherchés.
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