Wendie était une adolescente comme une autre. Jusqu’au jour où survint son accident. Elle seule le sait, elle seule en est persuadée : les conséquences ont été surnaturelles. Mais qui la croira ? Extrait de mon recueil de nouvelles sciences-fictions/fantastiques.
Peu avant l’accident, Wendie avait déjà voyagé dans plusieurs pays et voulait tout voir, tout faire. Une petite fille d’une curiosité sans limites. Le drame n’en avait été que plus cruel.
A son réveil, les médecins lui expliquèrent.
Sa mère était sauve. Elle aussi, mais à un certain prix.
Elle avait passé une semaine dans le coma, son petit corps en charpie avait reçu quatre opérations. Les médecins s’étaient surpassés, ils avaient pu remettre presque tout en place… excepté un sens, dont elle devrait désormais se passer. L’accident de voiture, les secours, son handicap… Ils lui avaient expliqué, réexpliqué… et Wendie ne saisissait toujours pas.
Selon ses dires, ce sens soi-disant effacé n’avait en rien disparu. Elle voyait toujours, mais plus comme avant. Pas mieux, ni moins bien… elle voyait d’autres choses. Maman était invisible, les médecins aussi. Tout comme ces objets autour d’elle qu’elle pouvait toucher, ressentir, ainsi que la pièce, les couloirs. Rien de ce qu’elle avait connu du monde d’avant n’était visible.
Wendie ne pouvait même plus distinguer ses mains et ses pieds, son apparence entière avait disparu. Selon le corps médical, un grand trou noir devait se trouver devant elle et ce serait dorénavant son unique univers visuel. Mais rien à faire, ce n’était pas cela qu’elle voyait. Sous ses yeux vivait un monde réel, impalpable pourtant, orné de roches sombres, d’un « sol qui respire » et de formes blanchâtres dont le défilé ne prenait jamais fin.
Les premiers jours, la petite fille crut devenir folle.
Ce nouveau monde et toutes ces affreuses créatures lui faisaient peur.
Elles la frôlaient, passaient au-dessus d’elle, à côté… parfois à travers. Certaines se mouvaient de façon insensée, on ne pouvait jamais prévoir en quelle direction elles allaient se diriger. On pourrait y voir l’antre même de l’enfer. Chaque jour la petite hurlait, se jetait au sol, tentait de se protéger de ses bras… Son temps d’hospitalisation en fut considérablement prolongé. Bien sûr, on la transféra en psychiatrie. Wendie bondissait du lit, se ruait dans un coin de la chambre, ou essayait d’en sortir. Elle était ingérable, ressemblait à une possédée.
Rien à faire pour échapper à cet univers : quel que soit l’endroit où elle se trouvait dans l’hôpital, il était toujours là. Plus tard, elle comprit qu’il resterait présent où qu’elle soit sur terre. Le pire était qu’on ne la croyait pas… Certes, personne ne le lui disait explicitement. Mais elle le sentait. Son cas éveilla l’intérêt de bien des experts, et aucun ne parvint à lui retirer ces « visions ». Les médicaments n’eurent pas davantage de succès.
La petite était captive d’un monde dont elle ne maîtrisait rien
et dont elle se savait étrangère. Une dimension sombre et menaçante, bien pire encore que ce voile noir qui aurait dû s’abattre, dont elle attendait désespérément la venue. Semaine après semaine, les souvenirs visuels du temps d’avant s’estompaient…
Déjà Wendie n’était plus certaine d’avoir une image fidèle de sa mère. C’était classique, disait-on. Enfin quelque chose de classique. Hatsue culpabilisait, pourtant l’accident n’était pas sa faute. Cet homme ivre avait déboulé sur la route sans crier gare, trois voitures s’étaient encastrées. Cruauté du sort, la maman avait été bien plus épargnée que la fille.
Culpabilisation maternelle, difficulté d’acceptation des conséquences… tout était logique. Tout sauf ça. Sauf cette affirmation dont Wendie ne démordait pas. Tous ces gens qui l’entouraient étaient si gentils, si attentionnés, elle aurait adoré les satisfaire… mais n’était pas du genre à mentir. Elle confia tout ce qui lui arrivait, sans jamais faire de secrets.
Comment pouvait-elle être en deux endroits à la fois ?
Ou tout du moins percevoir deux mondes si opposés ? On lui affirma, encore et encore, que tout était dans sa tête. Maintes fois la petite tenta de faire le vide, de chasser cette atmosphère, ces horribles créatures dont elle ne voulait pas, qui l’ignoraient d’ailleurs royalement, avec qui elle n’avait rien à faire. Tous ses efforts furent inutiles.
S’habituant peu à peu à ce qu’il fallait nommer des « visions », sa force de caractère lui fit comprendre que les spécialistes se trompaient. Tous ces éminents experts étaient incapables de percevoir la situation. Elle ne pouvait souffrir du mal qu’ils prétendaient. Cette réflexion la réjouit : leur diagnostic était erroné et tout finirait donc, tôt ou tard, par rentrer dans l’ordre. Un espoir absurde, un espoir d’enfant… qui l’aida à tenir. Car seule en cet univers, il y avait de quoi y perdre l’esprit… Plus d’une fois, elle dut s’accrocher pour ne pas sombrer dans la folie… Plus d’une fois, elle crut qu’elle était en réalité folle depuis le début.
Toute compte fait, Wendie avait la foi. Foi en elle-même.
Et puis la nature humaine est ainsi, elle sait s’adapter aux situations les plus improbables. Peu à peu, les apparitions lui firent moins peur. Elle comprit que personne ne lui voulait de mal… et qu’aucune bête ou chose ne la remarquait jamais. Elle progressait pourtant de la même manière dans le monde réel que dans l’autre : lorsqu’elle se déplaçait, le décor évoluait. Le sol, seule possibilité d’interaction, semblait se modeler au gré de ses pas.
En revanche, l’adolescente passait à travers tout le reste.
Aucune entité ne la voyait, ce qui était préférable : rien ne disait que leurs intentions seraient amicales.
Ces êtres se menaient des guerres sans merci, se jetant les unes sur les autres, se décomposant, se dévorant. Certains disparaissaient, d’autres se recomposaient pour mieux charger de nouveau.
Parfois les plus gros poursuivaient les plus petits, parfois de tout petits s’en prenaient à des mastodontes. Et lorsqu’ils ne se battaient pas, certains interagissaient avec d’autres de façon peu claire, sans qu’on puisse savoir s’ils jouaient, communiquaient ou s’accouplaient. Aucun ne semblait jamais dormir, tout juste parfois se reposer un peu. Une existence très primitive, basée sur la chasse, le clan, la défense du territoire… un véritable royaume préhistorique, dont aucun animal n’était répertorié dans aucun livre.
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