La science face au… surnaturel ?

Aurélia a achevé la construction de sa machine. Tout est prêt. Est-elle prête ? Car si Dieu existe, son invention devrait la mener à sa tanière… Extrait de mon recueil de nouvelles sciences-fictions/fantastiques.

Aucun jour de congé, nuits courtes… Et voilà que l’invention était sur le point d’être enclenchée. La conséquence était plus que jamais impénétrable. Et si elle était envoyée en un monde parallèle ? Et si l’univers s’ouvrait en deux, ou que le diable apparaissait ? Et si elle était projetée dans le néant, ou un monde de tourments éternels ?

Tandis qu’elle se remémorait ses années de labeur, Aurélia avait achevé les finitions. Calculs vérifiés à la virgule près, machine inspectée jusqu’au moindre boulon. Il ne manquait qu’une toute dernière pièce à insérer et son chef-d’œuvre serait enfin optimal…

A vingt heures pile, son livreur particulier sonna à la porte. Depuis des mois celui-ci vadrouillait chaque semaine en ville pour acheter tel ou tel outil dont elle avait besoin. Ce soir, il apportait une pile au carbone ne mesurant pas plus de cinq centimètres de haut.

Une toute petite pile, voilà ce qui la séparait d’une réussite hors du commun ou d’un échec historique.

Le jeune homme tendit un minuscule paquet, rappelant qu’il était disponible la semaine prochaine, sans savoir qu’il faisait là sa toute dernière course. Aurélia n’eut pas le cœur de le lui dire : il semblait s’être attaché à elle.

En quelques minutes, la scientifique plaça la touche finale… ça y est, la machine était à présent en mode off. Pour la première fois de son existence elle était éteinte, donc fonctionnelle. Ou plutôt non : pour la première fois de sa conception, elle avait une chance d’exister. D’avoir un sens, de ne plus être qu’un fatras de mécaniques et d’électroniques.

Se précipiter, faire chauffer les turbines et actionner le bouton ? La tentation était grande… Mais pas question de s’égarer. Au moins si l’insuccès devait être au rendez-vous, que ce soit lié à la fatalité et non l’erreur humaine. La scientifique fit quelques pas en arrière et considéra sa création, comme si cette dernière venait d’apparaître.

Allons, il fallait reprendre ses esprits…

et il était temps d’appeler Alfred. Celui-ci ne faillit pas à son sixième sens et téléphona à l’instant précis où Aurélia s’apprêtait à le faire. Elle décrocha avec l’impression de faire un geste qu’elle n’avait plus exécuté depuis des années.

— Alfred ?

— Qui d’autre ? Une des copines dont tu réponds plus aux messages laissés sur ton répondeur ? Ta mère à qui t’as refusé de communiquer ton nouveau numéro ?

— Alfred… Je… J’ai…

— Un problème ?

— Non. A priori aucun problème.

— T’as une de ces voix ! …Non. C’est pas vrai. La machine est terminée ?!

— La machine est terminée.

— Pas de blague ?

— Aucune blague.

Silence.

— Et tout va bien ?

— Je viens de te le dire.

Nouveau silence.

— Alfred, tu devrais déjà avoir raccroché et être en route.

— Ta vie de détenue t’a fait oublier l’existence des mobiles ? Paris, le vingt-et-unième siècle, ça te dit rien ?

— Où tu es ?

— Tout près, et au volant de ma voiture. Je suis là dans quelques minutes.

— Je t’en prie, te fais pas écrabouiller !

— Si tu voulais que je conduise prudemment, fallait pas tout me révéler.

— Si tu meurs sur la route je détruis la machine sans l’avoir utilisée.

— Dis pas de bêtises ! Si elle permet vraiment de le rencontrer tu pourras aller voir les morts, dont les accidentés de la route. T’inquiète j’y vais mollo.

— Tu crois que ça va marcher ?

— C’est tout le problème des grandes théories : faut s’échiner des années juste pour vérifier si ça marche ou non. De toute manière cette invention était ta destinée. Y fallait la faire, et si jamais ça marche pas… c’est qu’y fallait la faire pour savoir que ça marche pas.

— T’en parles au passé alors que rien n’est fait ! Cette machine aura de sens que lorsque je l’enclencherai. Et je le ferai pas sans toi. Au bout de toutes ces années, si j’attends une heure de plus aucune différence. Prends ton temps et arrive en un seul morceau s’il te plaît.

Alfred arriva une demi-heure plus tard.

Ils se regardèrent longuement, sans un mot, puis leurs regards se portèrent sur la machine.

— Du haut de cet édifice, onze ans de travail te contemplent. Ou quinze… ou plus ? Je sais pas à partir de quand faut compter. Surtout je dirais… peut-être que c’est l’éternité tout entière qui te contemple !

— J’aurais détesté l’enclencher seule.

— Par frousse ?

— Mmm… Pas impossible.

— Si Dieu existe pourquoi t’a-t-il laissé construire ce truc ?

— Oh, Al… on en a tellement débattu.

— Oui mais maintenant que c’est terminé qui sait si t’as pas changé d’avis ?

— …Je me souviens même plus de ma réponse ! Je dirais… S’il m’a laissé, c’est sûrement parce qu’il a laissé son libre arbitre à l’humain. Libre de s’entretuer, de le fuir, ou de tenter de l’atteindre avec une tour de Babel. Il a pas empêché l’holocauste ou les goulags, aucune raison qu’il empêche cela.

— Là il serait touché directement.

— Je le crois pas égoïste.

— Penses-tu être bien reçue ? Tu commets peut-être une sorte de péché mortel.

— Ou bien la machine va se désintégrer dès que je le la démarrerai.

— Ou encore il se passera rien du tout. Pour un croyant, cette machine est une absurdité. Dieu est censé être partout, tout le temps.

— Pour un athée… c’est encore plus absurde.

— Au moins ils seraient d’accord sur un point ! Quelle prise de tête… Plus on se pose de questions, moins on a de réponses.

— Alors pourquoi tu m’as toujours soutenue ? Pas juste pour pouvoir me sauter de temps en temps j’espère…

— Oh là lààà… mais non… je t’ai toujours plu, tu m’aurais emmené dans ton lit même si je t’avais pas soutenue.

Alfred prit le temps d’allumer une cigarette. C’était curieux… la machine enfin prête, à présent, ni l’un ni l’autre ne semblait pressé.

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