Le soir tombait, Emilie est allée se baigner nue pour faire honneur aux vagues. Son petite frère peste… Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
La petite fille s’était légèrement trompée dans ses calculs : elle n’était pas tout à fait sèche lorsqu’ils toquèrent à la porte. Ses cheveux noirs un peu ondulés bataillaient avec les grains de sel. La petite aimait bien… mais en connaissait une qui allait beaucoup moins apprécier.
Laurence se tenait devant elle, aussi vivante qu’un portrait-robot, cheveux ébouriffés par la colère. La pauvre, se dit Emilie.
— C’est pas vrai t’es toute trempée ! Oooh t’empestes la vase.
— Le sable, maman ! Du sable tout fin tout doux c’est pas de la vase.
— Réponds pas et file à la douche avant de prendre une gifle. Et dépêche, on mange.
Elle ne se le fit pas dire deux fois. C’était drôle, arriver en cours de séchage et se re-tremper dès la porte franchie ! Se dessaler sous l’eau chaude n’est vraiment pas une punition, plutôt une incitation à la récidive. Laurence aussi pouvait dire des mots magiques quand elle voulait. L’annonce d’une douche et d’un repas ça force le respect, ça donne de bonnes raisons de l’appeler maman.
Celle-ci lui aurait donné un petit temps supplémentaire qu’Emilie se serait faite un après-shampoing, puis se serait soigneusement coiffée comme toute fille qui se respecte. C’est du moins ainsi qu’elle le voyait… Emilie prenait soin d’elle. Tout pour s’éloigner de la mocheté de sa mère. La petite voulait rester belle et gracieuse, au mieux, ou au pire digne et présentable.
Pour ne pas non plus faire tourner Laurence en bourrique, l’enfant se dépêcha puis mit la table. Elle n’éternua presque pas, ce qui rassura Laurence, la trousse de médicaments étant presque vide. La mère avait tendance à bourrer ses mouflets de cachets pour un oui ou pour un non, elle qui pourtant détestait dépenser. Quelque part son rôle de mère la travaillait, il fallait se donner bonne conscience.
Cette baignade avait rendu la journée excellente. En général c’était moins folichon, et les jours où rien n’allait se disputaient aux jours ennuyeux. Laurence se vengea en préparant de la soupe de poissons. Jamais en reste la Laurence. Pas grave, ce soir Emilie avait si faim qu’elle pouvait manger n’importe quoi, et puis une bonne journée ne se gâche pas rétroactivement. Si j’avais été plus maline j’aurais fait croire que je déteste les salades niçoises, se dit Emilie… J’y aurais eu droit à chaque bêtise.
Laurence la considéra froidement.
— Qu’est-ce que tu foutais ?
— Je… (elle réfléchit)… j’ai rendu hommage à la nature.
— T’ouvres la bouche que pour dire des conneries, toi, hein…
— T’aurais pu prendre super froid !
Et voilà le fayot qui prend le relais ! Rien de pire qu’un petit frère se prenant pour un grand frère. Ce petit bout de rien du tout se considère comme l’homme de la maison, fais-moi marrer tiens ! Au moins il ne l’a pas trahie : l’épisode de nudité n’a pas été balancé. L’explication n’a toutefois pas convaincu la boss et la sanction est tombée : pas de sortie demain. Laurence sent que ses proies lui échappent et les rattrape comme elle peut.
Même si elle les enfermait à double tour ces dernières lui échapperaient d’une façon ou d’une autre, tout lui a toujours échappé. La famille ça déteint se dit Emilie en finissant sa soupe, attention danger. Y a qu’à voir le petit coq à ma droite. On est des enfants, on est influençables : même moi. Je dois continuer à travailler sur mes différences avec maman, coûte que coûte.
Mince, au final j’aime bien cette soupe qu’elle aime aussi. Quant à ce frangin… pfff… tu cherches encore ta maman des yeux sans la trouver.
Brian, contrairement à moi, a ses exigences.
Qu’on le prenne par la main, qu’on le câline, qu’on l’emmène en forêt, au ciné, au square ou au musée. Ce qu’il n’obtient pas d’un côté, il le cherche de l’autre. Eh, ce n’est pas moi la maman ! Mon tout petit Brian, tu ne connais pas ta chance. Le bisou du soir d’accord, mais n’en demande pas plus. Pouvoir découvrir par soi-même, sans un adulte sur le dos, c’est génial. Crois-tu que c’est maman qui m’a appris la baignade improvisée, la danse, le rire ?
Tout ça, elle ne pouvait pas le lui dire. Elle ne pouvait jamais rien dire. Emilie se surprit a en avoir soudainement assez de l’océan. Vivement qu’on rentre chez papa, se dit-elle encore. Là-bas, au moins on peut sortir. Et puis surtout j’aime bien papa.
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