Dans la maison parentale, Benjamin a fait du premier étage son royaume. A lui et à sa petite soeur Zéphir. Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
Zéphir dort, je me rappelle vaguement une mère qui autrefois s’en occupait. Tant qu’elle était bébé, tout allait. Au fur et à mesure que la petite =œur a grandi, la génitrice a tout délégué au fils. Pourquoi pas ? Au moins la Zèph’ est entre de bonnes mains, je suis reconnaissant de la décision. N’empêche on m’a un peu surestimé, assurer pour de vrai l’éducation d’une gamine est hors de ma portée.
Je me plains pas pour autant, au contraire je remercie le ciel.
Par leur irresponsabilité, les parents m’ont offert le cadeau le plus précieux qu’un enfant rêverait d’avoir, tout du moins un de ma trempe : la liberté.
De ma chambre, je redescends une part de mon magot : confiture, croissants, céréales. De l’artisanal, du putain d’authentique à faire pâlir de jalousie… heu, je ne sais qui, de nos jours tout le monde s’en fout. Le reconstitué est roi, sous prétexte que les apports nutritifs seraient les mêmes, personne ne trouve à y redire. Ils sont malins les bougres : on n’est tellement plus habitué au vrai qu’on ne fait pas la différence… les enseignes prétendent que le goût est similaire. J’ai dû réhabituer les papilles de Zèph’ jour après jour. Il en a fallu du temps pour ressentir qu’un jus pressé était meilleur qu’un soda.
A présent elle ne jure plus que par ma bouffe.
La bouffe ! Sans rire, voilà où passe une bonne partie de mes revenus. Pour Zéphir et pour moi… surtout elle. Au moins, chaque repas est une fête. Mais tout de même, il y a quelque chose qui cloche.
J’installe la graille avec toute une mise en scène : il faut que ça fasse son effet, l’assistante ne va plus tarder. Bien sûr je dirai que ce sont les parents qui ont installé cela.
Bien sûr elle ne sera pas certaine de me croire.
Pour un court instant, je claque des doigts pour lancer le visiogramme. Un petit outil pratique car dans la maison, il est partout et nulle part : l’image est programmée pour rester dans le champ visuel.
Comme souvent, l’actu est centrée sur la confrontation U.S.A.-Eurasie. Un analyste nous dit que c’est de la poudre aux yeux, que le maître du jeu est l’Australie et depuis longtemps, surtout depuis son alliance avec l’Inde. Je saisis mal et n’en ressens aucun complexe, un adulte n’en capte pas davantage. Je zappe, et lance une sélection au hasard. Un clip, un teaser de film, une pub, encore une pub… Tiens, un spécialiste. Encore de l’actu, à chaque fois pareil, soit un analyste soit un spécialiste.
Celui-ci dit que la société doit comprendre que nous, les jeunes, sommes des écorchés vifs
dans un monde sans repère. J’applaudis ! Cette théorie à deux balles est notre fond de commerce. Ça fait plaisir de voir que certains pensent encore ainsi. Ils deviennent rares. L’air de rien, l’époque glisse tout doucement vers la répression. Seuls les plus futés y échappent, moi par exemple. Encore que, c’est souvent lorsqu’on oublie le couperet qu’il tombe, dit le proverbe.
D’ailleurs, l’arrivée dudit couperet (l’assistante) est imminente. Les géniteurs l’ont sentie. Je les entends s’habiller pour se tirer en passant par derrière. Lâches ! Notre fonctionnaire de service a tendance à venir plus tôt qu’annoncé pour les surprendre, ils anticipent. Elle anticipe à son tour, vient encore plus tôt, ils anticipent encore plus en retour. A ce rythme on finira par faire le tour de l’horloge. Pour la fuite, les parents sont capables d’une grande organisation.
Encore une fois, quand la sonnette retentira, je serai seul face au dragon.
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