Vie, matière… les limites de « l’existence » et de « l’inexistence »
Qu’est-ce qu’exister, ou ne pas exister ? Dans notre quotidien, il faut se poser la question d’un point de vue très concret, sans chercher à partir dans d’interminables divagations philosophiques. Exister c’est vivre, profiter, s’affirmer. Évoluer, bâtir des projets, se faire plaisir, partager. D’un point de vue philosophique, les définitions peuvent être bien plus étendues, et souvent floues. D’un point de vue spirituel, voire religieux, exister revient à suivre les lois naturelles (celles de Dieu, ou bien de la nature, de l’univers, du Karma… à chacun d’y mettre ce qui lui plaît). L’analyse physique est celle que je préfère, car en fait il suffit d’étudier un peu la question pour toucher la métaphysique et la spiritualité du bout des doigts. Voyons cela de plus près…
Les limites du corps physique
Avant la naissance, les limites sont complexes à définir. On ne considère pas la présence d’un corps une fois que la cellule se forme, symbiose de l’ovule et du spermatozoïde. On considère bel et bien un corps une fois que la cellule se transforme en fœtus, mais déjà nos points de vues d’humains divergent. Certains considèrent qu’il y a déjà un corps humain, bien qu’encore peu formé : il y a donc une vie humaine, à la fois dépendante et indépendante du corps de la mère. Il est vrai que très vite, tout ce qui rappelle l’existence d’un corps apparaît : bras, mains, ongles, jambes… Pour d’autres, il ne s’agit que d’une vie en devenir, n’ayant pas encore d’existence propre. En somme, une « partie » du corps de la mère, qui n’a pas pour l’heure d’existence entière, pleine et individuelle. C’est d’ailleurs là tout le débat sur l’avortement. Un débat si délicat que même ses partisans ont du mal à se mettre d’accord : car l’humain ne pouvant concevoir de mettre fin à une vie, tout dépend de sa définition d’un être vivant. Cette frontière peut être précise sur le plan de la légalité, mais elle ne peut en fait que rester flou. On peut difficilement se dire qu’un fœtus n’est pas un être vivant pendant une telle quantité de jours, et qu’au bout du nombre de jours impartis par le délai légal, à minuit pile cette entité passe instantanément de « non être » à « être ». C’est bien pour cela que le sujet est si compliqué, et le restera toujours.
Considérons à présent un corps adulte.
Quelles sont les limites de ce corps ? De votre propre corps ?
Il y a les organes. Les muscles, les os, la peau. Tout semble évident, clairement délimité. Pourtant…
. Si on perd une main dans un accident de la route, et que l’on doit vivre avec une prothèse… possède-t-on « moins » d’un corps ?
. Si l’on pense à notre peau qui pèle et se change tout au long de notre existence, tel un serpent qui mue… se départie-t-on vraiment d’une partie de soi, d’une partie de son corps ? Et dans le cas contraire, cela veut-il dire que notre peau ne fait pas partie de notre corps, ou bien n’en fait partie qu’éphémèrement ?
. Si l’on regarde notre peau dans l’infiniment petit, qu’est-ce qui au juste fait partie ou ne fait pas partie de nous ?
. On se nourrit pour permettre aux organes du corps de continuer à fonctionner. En ce sens, qu’est-ce qui, en chaque organe, nous appartient réellement ? Si on considérait chaque organe telle une voiture, l’organe serait donc la carrosserie et le moteur, et les nutriments seraient le carburant. Mais comment distinguer l’un de l’autre ? On aurait alors une voiture dont la carrosserie et le carburant seraient imbriqués, sans que l’on puisse bien distinguer l’un de l’autre.
Il n’y a pas de vraies réponses à toutes ces questions. Il n’y a pas non plus de réponse juste ou de réponse fausse. L’essentiel est de se les poser, pour bien comprendre à quel point toute chose, dans l’univers, est imbriqué. Et que les frontières sont avant tout des notions que l’on se donne pour une meilleure compréhension.
Les limites de l’existence humaine (actions, pensées, paroles)
Cyrano de Bergerac a-t-il existé ? Pour écrire sa célèbre pièce, Edmond Rostand s’est inspiré de la vie d’un écrivain, qui s’appelait effectivement Savinien Cyrano de Bergerac. Il n’était apparemment pas affublé d’un long nez, et n’a pas eu une existence en rapport avec l’histoire de la pièce. Si l’on se demande si Cyrano de Bergerac a existé, il faut donc avant tout préciser de quel Cyrano nous parlons. Le Cyrano de la pièce n’a pas existé. Pourtant, des bribes de son personnages sont tirées d’un être humain ayant réellement vécu. Partant de cela, selon le point de vue, on peut prétendre qu’il a existé… ou au contraire qu’il n’a pas existé.
Mon point de vue, tout personnel, est qu’il n’a pas existé, la personne réelle ayant bien trop de différences avec le personnage fictif. Si la personne réelle avait eu un long nez, avait été cadet de Gascogne et avait écrit des poèmes pour un ami afin qu’il séduise une femme, en secret sa bien aimée, j’aurais estimé qu’il aurait existé. En ce genre de cas, l’existence donc n’est pas qu’un nom et une présence sur terre, mais se définit également par un certains nombres d’actes, de faits ou de paroles. Certains personnages peuvent, de fait, avoir « à moitié » existé, pas existé du tout, avoir existé en partie.
Car bien entendu, notre existence ne se limite pas uniquement à notre état. Respirer, manger, dormir, c’est exister. Mais si on ne fait que cela et rien d’autre, au fond on existe bien peu. Plus on pense, plus on agit, plus on existe.
L’existence supposée ou avérée d’un personnage peut alors s’appliquer à beaucoup de noms légendaires. Essayez, l’exercice est très amusant à faire. Un exemple criant (et forcément polémique) : Jésus a-t-il existé ?
Mettons que nous ayons toutes les preuves qu’un dénommé Jésus prêchait dans les synagogues et se prétendait fils de Dieu. Supposons (pas de panique ! Je dis bien : supposons) qu’en dehors de ces deux faits, tout le reste soit faux. La crucifixion, les rois mages, les discours qu’on lui tient, la tentation, Marie Madeleine, etc. : tout le reste aurait été pure invention.
En ce cas, peut-on dire ou pas que le Christ a existé ? Tout dépend des critères de chacun. Chez certains, oui car les trois éléments validés (le nom, la prêche dans les synagogues, le dénomination de fils de Dieu) suffisent. Pour d’autres, il aurait également fallu que la plupart des discours qu’on lui prête dans la bible soient vrais. Pour d’autres encore… etc. Chacun y trouverait sa propre notion de l’existence… qui serait très liée à l’importance accordée à tel ou tel élément des Évangiles.
Si vous deveniez un personnage historique, on construirait malgré vous une légende autour de vos actes et de vos paroles. Peut-être serait-elle fidèle à votre Moi, peut-être bâtirait-on un personnage fictif portant votre nom. Comme quoi, même ce que l’on pense évident ne l’est pas tant que cela. Rien n’est jamais totalement vrai ou totalement faux, c’est ce qui fait toute la complexité mais aussi toute la richesse du monde dans lequel nous vivons.
Vous trouverez d’autres réflexions sur l’existence dans « Pourquoi le temps n’est pas une illusion (et comment mieux l’appréhender) », que je vous invite à lire ou relire.