Parents absents, démissionnaires… dans le viseur

Benjamin, enfant de l’an 2100, n’est pas spécialement perturbé par l’irresponsabilité de ses parents. Au contraire même : il sait en tirer avantage et profit. Mais l’assistante sociale ne le voit pas de cet œil… Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.

Je ne m’étais pas trompé… c’est bien elle, dressée comme un poing dans son petit tailleur de chez Michoumode, chignon aussi serré que le corsage. En ce bas monde, de tels déplacements administratifs d’humain à humain sont devenus rares, très rares. En général tout se fait par écran interposé, et devant une I.A. encore bien (Intelligence Artificielle).

J’aime bien les I.A., tellement plus simple à gérer.

Une telle présence n’est donc pas un hasard : ma famille a un sacré dossier… dont je suis en partie responsable.

— Mes parents ne sont pas là Madame Lapaire.

— Lepaire. Bonjour Benjamin. Je ne peux que te féliciter d’être là, toi, au rendez-vous.

— J’en ai jamais manqué aucun. Un client fidèle.

— Isild est là ?

— Isild ?!

— Aux dernières nouvelles c’est le prénom de ta petite sœur.

— Oh pardon ! Pas de lézard, Zéphir est là.

Putain ça commence bien… Isild… où avais-je la tête. Je ne m’y ferai jamais.

— Tu commences les cours à quelle heure ?

— C’est jour de grève. Vous n’êtes pas en grève ?

— Comme tu vois.

Et Zéphir de sauter de sa chaise pour sauter au cou de l’assistante, comme pour Ronny. Elle aime n’importe qui Zéphir. Dans une telle société c’est pas une attitude raisonnable. Après, l’assistante n’est pas méchante. Puis, la Zèph’, qui a fini son petit dèj’, monte dans sa chambre. Elle sait que la suite sera barbante. Et l’assistante de visiter le rez-de-chaussée, inspectant, fouillant un peu, posant ses questions habituelles.

Au premier, cette bombe de Ronny fait des siennes. C’est tout lui, dès qu’il essaye de se faire discret il panique et fait tomber des choses, genre en essayant de cacher son gros corps dans un placard trop étroit. Faut croire que j’aime m’ajouter des handicaps, que l’ai-je accueilli en ce jour ?

— Il y a quelqu’un d’autre ici ?

— Ma petite sœur, vous, et moi.

Ladite assistante monte les étages : ses sens de vipère ont flairé l’anomalie (les serpents étant attentifs à la moindre vibration). Fort heureusement, les bruits « made in Ronny » se sont tus.

Mon petit courant d’air préféré a mis de la musique, faisant illusion parfaite, et virevolte dans sa chambre.

— Zèph’ ? C’est l’heure de l’interro !

— De l’apéro ?

— De l’in-te-rro !

— Mais je suis pas en classe !

— De l’interrogatoire enfin !

— Je coupe la musique ?

— Evidemment !

La pop rose bonbon cessa, on entendit de petits pas se dirigeant vers nous. J’aurais voulu lui envoyer un message télépathique : pitié Zèph’, sors pas toute nue ! C’était pour elle si naturelle qu’elle en était capable… je devrais davantage lui répéter les consignes. Le matin, pas bien réveillée, elle pouvait ne pas sentir le danger. Ou le sentir mais ne pas le considérer.

On est du même sang, aucun doute.

Comme toujours elle ne faillit pas à mon estime, ayant pris la peine d’enfiler un t-shirt assez long, piqué au paternel. J’espère juste qu’il ne sentait pas la bière. Pour Zéphir qu’importe, il fallait que le tissu et l’odeur lui rappellent son père. Madame Lepaire ne put s’empêcher de s’attendrir un instant.

— Coucou ! Chantonna Zèph’.

Et d’embrasser l’assistante de nouveau comme si elle ne l’avait pas vue deux minutes auparavant. Cette dernière s’est déplacée pour la voir, lui parler, la questionner… La gamine y est sensible, et reconnaissante. On ne peut pas en dire autant pour ma pomme. Elle adore qu’on s’occupe d’elle, j’ai une sainte horreur qu’on s’occupe de moi.

L’échange débute. Ecole, activités, vie de famille… comme toujours Zéphir adore, on n’a jamais l’occasion d’être interviewée à cet âge, en plus l’assistante prend des tas de notes. La ringarde ! QUI rédige encore des notes de nos jours… Faut pas me prendre pour une poire, elle enregistre, et le son et l’image. C’est d’ailleurs la règle pour une visite.

Tout ce qui arrive pourra être retenu contre nous, preuve à l’appui.

J’essaye un peu de répondre à la place de ma sœur et de poser des questions moi-même, l’assistante m’en empêche, même la petite me demande aimablement de me taire. Zéphir parle sans mentir. Je l’aurais briefée que ça n’aurait servi à rien, elle n’a jamais su mentir. Bavarde la Zéphir, retirez ses mots inutiles d’enfant et gardez la substance, sur dix phrases il n’en restera qu’une.

Autant dire une fille digne de ce nom, ce sont toutes les mêmes, à bavasser une heure pour dire trois fois rien. Au bout d’un long moment, elle se lasse un peu du jeu et formule des réponses plus courtes. Je la préfère ainsi, en mode souffle de vent : passionnée quelques minutes durant, puis passant à autre chose. L’assistante note qui s’occupe d’elle le matin, le soir, les week-ends : une fois de plus moi, moi et encore moi.

— Tu aimes bien cette maison ?

— Surtout ici.

— Tu n’aimes pas en bas ?

— Y a des rats à la cave. Ça j’aime bien, je joue à les attraper, j’en ai même dressé un. Au premier c’est sale, j’y vais pas trop.

— Le premier ? Mais c’est ici le premier.

— Non, ici c’est le deuxième et en bas c’est le premier.

— Dans une maison on compte à partir de zéro je te l’ai expliqué cent-mille fois !

— Benjamin laisse parler ta sœur s’il te plaît. Et tu la vois quand ta maman ?

— Heu… quand elle est là ?

— Et quand est-ce qu’elle est là ?

Silence.

— Des fois elle est là… des fois elle est pas là.

— Et il y a des fois où tu es toute seule à la maison ?

— Pas très souvent.

— Tu n’as pas peur quand tu es toute seule ?

— J’ai mes peluches.

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