Que les anges gardiens existent ou non, on peut les voir apparaître. Mais s’il s’agit peut-être d’une forme surnaturelle, est-elle divine et angélique pour autant ? Difficile à dire… Même si Emilie a peu de doutes. Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
Le port était calme. Assise sur un muret de pierres, Emilie respirait la brise. Qui ne serait bientôt plus qu’un souvenir. Comme le reste. Tout était bouclé, il fallait que Laurence vérifie, ouvre les valises, les referme, encore et encore.
Que maman le fasse tant qu’elle veut, c’est toujours ça de pris.
Brian dépensait ses derniers sous à la salle de jeux avec ses traditionnelles allées et venues entre son loisir et sa sœur, adorable petit clébard se dit-elle.
La petite, yeux dans le vague, regardait les îles au loin en rêvassant. Sur l’une d’entre elles, un élément attira son attention. C’était un point lumineux, ou plutôt un reflet. Ça ne ressemblait pas à celui d’un miroir… la lumière était teintée de bleu, ou peut-être de blanc. L’île ressemblait au pays de Peter Pan, celui où l’on ne grandit pas. Elle ne l’avait jamais vue, comme c’est une contrée imaginaire ça pouvait bien ressembler à ce qu’on voulait. Pas de doute, celle-ci était habitée.
— Arrête de regarder le soleil, la maîtresse elle dit que ça rend aveugle !
Et Brian partit de nouveau. Toujours ses remontrances ridicules… L’île étant, il est vrai, dans la ligne de mire du soleil, Emilie plissa les yeux pour mieux distinguer l’apparition.
C’était plus qu’un simple point, c’était une forme.
Qui se précisait au fur et à mesure. Longue, majestueuse, semblant faite de lumière. A présent l’enfant en était certaine : on pouvait distinguer des jambes, une tête et des bras.
Une forme humaine ? Trop gracieuse pour être humaine, d’ailleurs ça ferait un homme de quatre ou cinq mètres de haut. Et pourtant c’était là, sous ses yeux. Elle se les frotta, se pinça le poignet… non, elle ne rêvait pas et la forme persistait. Sa taille paraissait s’allonger, se mouvoir. Magnifique spectacle. Qu’est-ce que cela pouvait donc être…
C’était évident, Emilie se trouvait devant un ange. Seule explication plausible à son cœur. Quelle chance ! Qui sait si elle n’était pas la seule à le voir, si ce n’était pas son ange rien qu’à elle ? En ce cas, pourquoi ne venait-il pas à sa rencontre ? Plusieurs centaines de mètres d’eau froide les séparaient, un parcours pas évident pour une enfant, alors que pour lui ce serait réglé en deux battements d’ailes. Elle l’appela de tous ses vœux, le vit remuer encore… pas s’envoler. En tout cas, il avait répondu.
— Qu’est-ce que t’es beau… murmura-t-elle timidement.
La forme s’allongea encore, sans doute flattée du compliment, et fit quelques pas en sa direction. Comme pour l’inviter à la rencontre. Subjuguée devant un tel phénomène, Emilie comprit que c’était à elle de le rejoindre. Pourquoi elle plutôt que lui ? L’enfant n’en savait rien, qu’importe, une telle invitation ne se refuse pas et le ciel a ses raisons que la raison ignore.
La petite jeta un regard autour d’elle. Formidable ! Personne ne lui prêtait la moindre attention. Pas un marin ne jetterait son béret à terre pour la repêcher. Non pas qu’elle estimait l’éventualité désagréable, au contraire elle aurait coupé sa respiration juste pour avoir droit au bouche-à-bouche et sentir l’eau de mer salée et le souffle océanique (oui, elle s’imaginait qu’un marin était salé et revêtu d’un parfum d’écume).
Astuce expérimentée une fois à l’hôpital, en visite pour voir mamie, lorsque le bel ambulancier était passé devant Emilie qui avait soudain fait un « malaise ». En principe cette technique se fait sans vrai contact avec les lèvres, mais lui était stagiaire, et le jeune homme lui offrit involontairement son premier baiser. Tout du moins du point de vue de la fillette.
Ç’avait été sacrément chouette… et le manque de matériel hospitalier a parfois du bon.
Même s’il était tentant de réitérer l’expérience, elle ne pouvait se le permettre. Il n’y avait aucun marin en vue, Emilie ne pouvait prendre le risque d’être repêchée par un gros touriste biéreux, et puis l’idée était d’aller à la rencontre de l’ange, rien d’autre. Brian était lancé dans une nouvelle partie d’Hyper-Heroz. Dans un costume électronique, il affrontait une armée de lutins avec ses superpouvoirs. Lorsqu’il reviendrait, elle serait trop loin pour être aperçue.
L’enfant prit une profonde inspiration…
L’instant d’après, il n’y avait plus âme qui vive sur le muret. Elle sauta comme une danseuse classique, de la manière la plus distinguée possible, pour faire bonne figure devant l’être. Son petit corps fin ne fit presque aucun bruit en s’immergeant, tandis que l’eau glacée pénétrait chair et tissus…
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