Echange philosophique les pieds dans le sable

Deux enfants marchent dans le sable. L’air de rien, ils sont en cavale. D’ailleurs il y a peu, ils étaient propriétaires d’une valise de billets. Extrait de mon roman initiatique « Nous les Indiens ».

— Je me demande si on n’a pas cramé trop de billets.

— C’était ton idée. Je te savais pas si matérialiste !

— Et ceux qui ont faim ? On devrait avoir honte.

— On a fait tourner le commerce. On a fait ce que la société nous demande. On s’est comportés en parfaits consommateurs !

— Si la bagarre des fêtards avait été meurtrière on serait devenus des… tueurs en série malgré nous. Des gens inhumains !

— La destruction est humaine. Pas inhumaine ! Même les tueurs en série, les bourreaux et les dictateurs sont humains.

On les appelle inhumains pour se rassurer. Les vrais inhumains, comme les animaux ou les arbres, partagent pas nos plans sadiques.

— Pour toi la violence est partout chez l’humain ?

— C’est grâce à la violence du monde qu’on s’est rencontrés.

— Heu…

— Bah oui, grâce à cette violence du monde adulte qu’on a fuie.

— Admettons. Du coup maintenant on peut s’en passer.

— Tu voudrais qu’ils fassent quoi dans la vie tes futurs parents ?

— Si je veux qu’ils me laissent faire ce qui me plaît, faut que je leur rende la pareille.

— Ils pourraient faire vraiment tout ?

— Pas bourreaux, ni dictateurs, si humains soient-ils. Après… je me demande si les enfants cherchent pas toujours à être un peu le contraire de ce que sont leurs parents.

— Si toi et moi on est le contraire de nos parents on doit être limite surdoués.

— Chaque génération a tendance à faire le contraire de la précédente !

C’est pour ça qu’on doit pas être dans la rébellion mais la réflexion. Sinon rien changera jamais.

— On se torture beaucoup les méninges au final. J’aimerais bien être plus simple d’esprit ! Pour s’émerveiller de tout. Le royaume des cieux leur appartient, disait le Christ.

— Pas besoin d’être simple d’esprit pour s’émerveiller de tout. Ou alors… pas si compliqué, et d’être simple d’esprit, et de s’émerveiller de tout. Quand on saute dans les vagues t’as l’impression d’avoir un esprit complexe toi ?

— Des fois j’aimerais que tu sois une fille imaginaire.

— Pour que tu puisses me garder dans ta tête sans me partager ?

— Pour plus avoir peur pour toi.

— Mais c’est mieux la réalité. Pour le meilleur comme pour le pire.

— Pour le meilleur comme pour le rire.

— Pour le meilleur comme pour le dire.

— Tiens au fait, j’ai mis mon cran d’arrêt dans ton sac. Pour plus t’effrayer.

— Merci ! Plus prudent… on peut tout vendre, mais pas son âme au diable.

— Peut-être que je l’ai déjà vendue depuis longtemps !

— Alors on va aller la lui arracher des mains.

J’aime bien tous ces petits échanges sur la route des sables, se dit Emilie. On se tait, on se parle un peu de tout et de rien, on se tait à nouveau. C’est super apaisant.

On ne parle jamais vraiment de notre relation, d’amitié, de complicité ou de je ne sais quoi d’autre.

Ce qui prouve qu’on est dedans. Ceux qui dissertent sans arrêt sur la tendresse sont ceux qui savent pas en donner, comme ces religieux qui parlent jour et nuit de vertu juste parce qu’ils savent pas être eux-mêmes vertueux.

En ayant assez de marcher, le garçon sortit de son sac une demi-bouteille de vin piquée aux manouches… on ne se refait pas. Emilie refusa la moindre goutte, il termina tout d’un trait. Juste come ça, pour l’expérience.

— Tu devrais pas boire autant.

— Eh jeune fille ! J’ai échappé au monde des adultes pour la même raison que toi : être libre.

— C’est toi qui disais qu’il fallait garder la tête froide. Pas attirer l’attention. Et là t’arrives même plus à marcher droit.

— L’important c’est que l’un des deux assure.

— En ce cas ça tombe à pic. Tiens-toi à moi, faut faire bonne figure.

— Faire bonne figure ? ?

— Parce qu’on est arrivés.

— Hein ? Où ça ?

— J’ai déjà dit, c’est une surprise ! On est là où je voulais t’emmener. La planque.


L’entrée du terrain était surveillée mais les gardiens ne demandaient jamais aux enfants de justifier leur appartenance au camping. Benjamin se laissa guider. Somme toute, ces quelques gorgées d’alcool étaient une bonne idée : le copain était dans les vapes, l’effet n’en serait que plus fort. Emilie cherchait un emplacement vide…

Elle le trouva non sans mal. Le terrain semblait quasi complet, rien de mieux pour passer inaperçu. Elle trouva une zone assez grande pour leur tente, au pied d’un magnifique chêne. Emilie laissa Benjamin assis contre l’arbre, vautré plutôt, un peu divaguant aussi, pendant qu’elle montait la tente.

Il reprenait peu à peu ses esprits.

— C’est quoi ici ?

— Un… lieu sécurisé, où on n’ira jamais nous chercher.

— Sécurisé par qui ?

— Par une équipe de sécurité.

— Qui nous cherchera aucune histoire ?

— Aucune. T’as l’air crevé toi !

— Grave. Hâte de roupiller.

— Ton vœu va être exaucé.

— Ils nous retrouveront tu sais. Où qu’on aille.

— Pas ici. Allez, chasse un peu ton cafard ! Ce soir t’as à t’occuper de rien. Si tu veux je peux même venir te border dans ton lit.

— Avec un sac de couchage ?!

— On fera comme si. La suite royale de monsieur est prête ! Installe-toi, je me charge de la location.

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