Possible… Le contraire serait, au fond, étonnant. Benjamin et sa sœur sont dans le bureau de l’assistante sociale. Les dernières frasques du garçon ne sont guères passées inaperçues. Extrait de mon roman initiatique “Nous les Indiens”.
La bévue de ma vie. M’être fait choper de façon aussi bête ! Ah les empreintes, j’aurais dû y penser. Tout était ma faute. La vie est ainsi, un instant d’inattention et elle vous attaque. Ce n’était pourtant pas la première fois que j’avais affaire à la police, l’assistante en savait un bout, son dossier répertoriant toutes mes arrestations.
Celle-ci était celle de trop, je le sentais. Le navire familial, si tant est qu’il y’en ait jamais eu un, prenait l’eau. Zéphir et Benjamin sont dans un bureau, Benjamin tombe à l’eau, qu’est-ce qui reste ? Madame Lepaire n’en avait qu’après moi.
— Punaise, j’ai répondu à ces questions au moins vingt fois…
— Pas autant de fois que tu as dit « punaise ».
Tiens, voilà qu’elle fait de l’esprit maintenant.
— Personne m’a frappé. Faites des alcotests à mes parents, vous verrez qu’ils étaient trop beurrés pour. Et dans la rue j’ai croisé personne vous pensez bien. Qui aurait été assez dingue ?
— Toi par exemple.
— Je rentrais chez moi et j’ai été chopé par Coralie. Le cyclone… Ce sont des choses, heu… qui arrivent.
— Qui arrivent ?
— Vous me croyez pas ?
— Si tu veux tout savoir, si. Je te crois parfaitement capable de te promener par temps de cyclone. J’aimerais presque mieux ne pas te croire.
Zéphir ne semblait pas tourmentée.
Avec toutes mes virées nocturnes, ce n’était pas la première fois qu’elle me voyait en charpie,
ni que l’assistante nous faisait les gros yeux. Seulement cette fois-ci, le juge pour enfants était sur le coup.
— Et toi Isild ? Tu n’as pas eu peur, pendant la tempête ?
Zéphir me jeta un regard soucieux : que devait-elle répondre ?
— Non… j’dormais. Quand je dors je me réveille pas.
— Tu n’étais pas la seule à dormir ! Tes parents aussi alors que ton frère était dehors… Je te le dis pour que tu comprennes bien la situation.
— Madame Lepaire, c’est normal de dormir la nuit !
— Je ne te le fais pas dire jeune homme. Mais pas quand on a son enfant dehors et qu’on ignore totalement où il se trouve.
— J’étais parti par la fenêtre ils pouvaient pas savoir.
C’était un dialogue de sourds. L’assistante nous préparait la porte de sortie.
— Isild, tu veux bien nous attendre dans le couloir ?
— Oui madame !
Et Zéphir s’envola sans un bruit vers la porte. Elle marqua un arrêt.
— Vous savez madame, mon frère… (réflexion intense : front plissé, sourcils froncés)… il a rien fait de mal.
— Je n’ai aucun doute là-dessus.
Clac.
— Je t’assure, c’est vrai. Je n’ai rien contre toi Benjamin, au contraire. Et ta petite sœur a raison, tu n’as rien fait de mal. Ce n’est pas toi le responsable de la situation.
— On va nous séparer ?
— Le juge en décidera. Etre éloigné de tes géniteurs serait si horrible pour toi ?
— Vraiment pas.
— Alors de quoi as-tu peur ?
— De tout.
— Rassure-toi. Avec nous, tu es entre de bien meilleures mains.
Ce qu’elle ne comprenait pas, ne voulait, ne pouvait comprendre, c’est qu’avec mes « géniteurs » je n’étais pas du tout entre de mauvaises mains : je n’étais entre aucune main. Nuance !
Pour l’administration, pas d’éducation égale mauvaise éducation, alors qu’on peut très bien s’éduquer soi-même.
— Je m’occupe de ma sœur depuis la crèche, d’accord. Je l’emmène à l’école et lui fais ses repas. Tout va bien pour elle, où est le problème.
— Un enfant a besoin d’une vraie structure familiale. Sans cela, on ne peut s’épanouir.
— On est en deux-mille-cent. Remettez les pieds sur terre, la structure familiale n’existe plus ! Depuis très longtemps ! Vous me ressortez ce qu’on vous a appris en formation.
— Et tu voudrais que ce soit la femme qui te parle plutôt que l’assistante ? Tu es décidément très intelligent (ce qu’elle m’agace quand elle parle ainsi !). Eh bien, la femme pense pareil.
— Instinct maternel. On se trompe de siècle !
— Ta sœur et toi il vous faut une vraie famille aimante. Surtout elle, surtout à son âge.
— Vous ce qu’il vous faut, c’est une machine à voyager dans le temps pour aller en mille-neuf-cent-quatre-vingt. Vous savez, Zéphir vous aime.
— Pardon ?
— Elle sait tout de suite quand on est sincère avec elle. Y a pas meilleur détecteur de mensonges. Elle a senti que vous lui vouliez du bien, alors elle vous aime.
Petit silence. J’aurais pu ajouter : c’est pour ça que moi non plus au fond je ne vous déteste pas.
— Ah là là… Elle serait prête à aimer n’importe qui tant elle manque d’amour. Et je ne dis pas ça pour toi. Rien ne peut remplacer des parents.
Vraiment le monde va à cent à l’heure.
Hier encore, les gens nous voyaient comme des victimes.
Nous, les enfants. Il n’y a pas si longtemps on m’aurait tout pardonné, même cette escapade ouragantesque.
Inutile de poursuivre. Moi aussi je voulais attendre le juge sur le banc. Elle ne me retint pas, hommage à ma liberté qu’elle voulait pourtant m’arracher. Je compris alors que ma décision était irrévocable. Soyons sport… autant l’en informer.
— Je n’irai pas dans la famille d’accueil. Notez-le.
— Que je le note ?
— Dans votre rapport. « Le garçon prétend qu’il n’ira pas dans sa famille d’accueil ».
Porte refermée. Couloir.
Deux petites jambes se balançant dans le vide m’attendaient. Une main toucha mon épaule.
— Chat !
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