Epreuve de vie, épreuve du feu…

Extrait de mon roman initiatique « Nous les Indiens ». Emilie et Benjamin, deux enfants fugueurs, font une pause dans leur cavale… dans un centre de vacances au bord de la mer. Emilie en profite pour, chaque jour, redonner à Benjamin goût à la vie. Via des méthodes symboliques, telle l’épreuve du feu…

Que le temps passe vite, se dit Emilie. Je voulais apporter la touche finale le septième jour, pile, même si je n’avais pas prévu qu’on se repose. Déjà au dixième…

— Dis Emilie… Tu vas pas faire cramer le camping ?

— C’est quoi c’te question ?!

— Parce que le quatrième élément c’est le feu.

— Je te fais peur ?

— Non, sauf des allumettes en mains.

Qu’une fille comme toi ait pu faire ça, encore maintenant j’ai du mal à y croire.

C’est tellement pas ton style… ç’aurait bien plus été le mien. Après, j’imagine que c’est propre à la gent féminine.

— Heu… c’est-à-dire ?

— Vous êtes la douceur même. Par contre le jour où on vous met en rogne, gare !

— Je suis tout sauf en rogne. On dit que la terre c’est le, heu… rapport à la… matérialité. Oui, c’est ça. L’eau…

— Ondine, sirène, monstre marin et ensorcellement. Les sentiments ?

— Les émotions.

— L’air, c’est Dieu et les anges je dirais. Et le feu, les dragons en soufflent…

— Le feu c’est la partie secrète, cachée. L’élément du dépassement. Celui qui affronte le feu n’a plus peur.

— Un ennemi à vaincre ?

— Surmonter, pas vaincre, sinon il suffirait d’y jeter de l’eau.

Retour en forêt. Il y a quelques jours, Emilie avait préparé un petit terrain dans un coin discret, retirant chaque brindille, chaque pomme de pain pour purifier le sable, et avait étendu un lit de pierres et de charbon.

Ce matin, elle s’était levée tôt pour allumer… il n’y avait plus que des braises.

— Ça vient d’où ?

— Le charbon ? De l’épicerie.

— La coutume.

— J’ai vu ça dans un reportage : dans une tribu Maya ils font ça pour se prouver que leur esprit peut être totalement détaché.

— On n’est pas chez les Mayas.

— On fera comme si !

Ben maudissait ce jour où elle avait allumé l’holoscope pile à ce moment. Il savait que son amie ne cherchait pas à s’imposer : pour elle, tout était jeu.

Seulement, comme toujours un défi ça se relève, surtout venant d’une fille,

plus encore si la fille en question s’appelle Emilie. Le nombre de fois où elle a dû m’avoir par cette putain de combine, se dit-il…

— J’y vais la première.

Et la petite se plaça devant le lit ardent.

— T’es folle… arrête ça…

Ne l’écoutant plus, elle ferma les yeux et huma l’air encore frais du matin, le visage levé vers le soleil.

— Faire le vide… vider son esprit… Je ne pense plus à rien, ne suis plus qu’une parcelle du Grand Tout, se fondant, heuu… en tout et en rien…

Ben étouffa un rire.

En fait la situation n’avait rien de si dramatique.

Au pire elle en serait quitte pour quelques belles cloques. Ce qui l’embêtait davantage est qu’elle était capable de réussir et lui d’échouer. Déjà deux, puis trois pas de faits, et il ne lui en restait pas plus de quatre ou cinq à franchir. Le visage d’Emilie était beau, angélique, épris de pureté.

La petite païenne ne songeait à rien d’autre qu’au moment présent, et lorsqu’une pensée lui traversait l’esprit elle la chassait en s’imaginant valser avec son ange. Ses pieds se posaient comme à la danse, très délicats, légèrement en pointe, effleurant à peine le sol, comme en apesanteur.

Au moment où elle se voyait franchir, triomphante, la ligne d’arrivée, deux pensées parasites l’attaquèrent. D’abord, elle vit Benjamin à la place de son ange et cette métamorphose la troubla. Le mental s’était remis en action… Elle accéléra, une autre pensée parasite fit son entrée : Brian. Lui, abandonné par sa grande sœur alors qu’il lui faisait confiance.

Emilie sentit la chaleur se dégager sous ses pieds. Une goutte de sueur perla à son front alors qu’elle esquissait un pas supplémentaire. A peine un mètre la séparait de la fin de piste. Les braises la rongeaient toujours davantage. Elle se déséquilibra, manqua de tomber. Le garçon voulait la sortir… Elle lui en aurait trop voulu. Emilie fit un nouveau pas, poussa un cri de douleur.

— Punaise… range-toi sur le côté !

Les jambes s’élancèrent, vite, vite, et finirent le parcours de façon peu glorieuse. Enfin sur la terre tiède et sans danger,

Emilie se jeta au sol en se tenant les pieds, visage grimaçant.

— T’es con ! Cria-t-elle. T’es vraiment trop con ! Tu m’as déconcentrée ! Y a rien de plus chiant que d’entendre des trucs pareils !

— Je m’inquiétais c’est tout. Puis déconcentrée tu l’étais déjà.

— Justement j’avais pas besoin qu’on me stresse encore plus !

— Je vais chercher de la pommade.

— Non, laisse.

— Bouge pas.

Il partit en courant, revint à la même allure et lui appliqua de la crème.

— Bon okay, j’ai eu tort. C’était pas un si bon plan cette épreuve du feu.

— Ta partie cachée t’a joué des tours ?

— M’en fous j’ai réussi.

— Le feu t’a pas vaincu ?

— Je l’ai surmonté ! C’est ce qui compte.

— Mouais…

A présent, même si lui-même échouait l’honneur serait sauf. Ben se leva et se plaça sur la ligne de départ. Il leva les bras.

— Ooooh je suis une infinie parcelle du Grand Tout de rien du tout, ô mon âme épurée s’évapore dans le port…

— Oh comme c’est drôle.

Faire le vide… Mais comment ?

S’il se disait qu’il ne fallait pas penser à Zéphir ou Emilie, il allait y penser… Alors il laissa libre cours à son imaginaire. Défilèrent en lui des images de sa petite sœur, d’Emilie qui dansait, de filles nues, le corps d’Emilie se mélangeant à d’autres, des gâteaux au chocolat, du désir, des drogues. Son pied, au-dessus des braises, restait en suspend.

Peu à peu, les songes s’estompèrent. Le talon reposait à présent sur le lit incandescent, tandis que sa respiration se faisait de plus en plus lente. Il étendit les bras, tel un funambule, et avança l’autre jambe. Le petit vent frais et les chants d’oiseaux lui donnèrent confiance et le garçon marqua un second pas.

Emilie, qui se tenait encore le pied, était assez contrariée, et en même temps le spectacle la fascinait : elle trouvait son ami magnifique, son corps touché par une grâce qu’elle-même n’avait su avoir, son visage était si beau, lumineux. Angélique ? Ce visage si particulier, divin et démoniaque, un instant pervers et revanchard, l’instant d’après doux et bienveillant. Quelques secondes plus tard, Benjamin franchissait la ligne d’arrivée avec une tranquillité non feinte, quoiqu’un peu surjouée.

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