La science à la recherche du divin

La machine de notre héroïne est sur le point d’être mise en route : une machine qui devrait lui permettre de rencontrer Dieu en personne, ni plus ni moins ? Mais… existe-t-il seulement ? Extrait de mon recueil de nouvelles sciences-fictions/fantastiques.

Aurélia s’observa dans le miroir : bon, sa mine était un peu moins déconfite que tout à l’heure. Au moins avait-elle pu se remettre un peu, sans que le téléphone sonne, sauf si elle ne l’avait pas entendu tant elle était éreintée. Et voilà que ses pensées l’assaillaient de nouveau. Elle ne les contrôlait plus à un point effrayant. Son mental était sans cesse tiraillé par des calculs, suggestions, idées.

Eveillée, les chiffres ne formaient plus de vagues mais passaient et repassaient en ordre rangé, la pénétrant de force comme pour violer son âme.

Les calculs la brutalisaient, la traversaient. Perdait-elle l’esprit ?

Nombre de collègues l’auraient sans doute affirmé s’ils avaient eu vent du projet… et de son évolution. Après tout pourquoi pas, elle y était prête. Certains se sont faits trancher le cou en défendant leurs convictions, d’autres, comme Marie Curie, ont été tués par leur découverte. Au fond si elle devenait maboule, ce serait un moindre mal… folie n’est pas toujours souffrance.

Le programme affichait un retard de quelques jours sur l’instant prévu de la mise en route. C’était insignifiant… bien des chantiers infiniment plus modestes cumulaient des retards se comptant en mois, voire en années.

Il ne manquait plus que… trois fois rien, de ces petits riens qui font tout. Après une suite de dominos dressés, il manquait toujours le doigt pour pousser la première pièce. Là, c’était un réglage à ajuster, un résultat à vérifier. Et sans cesse un petit détail qui s’ajoutait… A chaque heure qui passait, le point final était remplacé, au dernier moment, par un point-virgule.

Et puis… et puis le doute, ce doute qui remettait tout en question à chaque seconde, qui faisait refaire les calculs et vérifier les boulons. Douter est nécessaire se dit-elle, et c’est au moins la preuve que je suis encore un peu moi-même.

Sa crainte était qu’un chiffre perturbateur s’immisce dans son océan.

Car un océan de nombres est très différent d’un océan marin. En comparaison, c’est comme si une goutte versée dans l’Atlantique pouvait provoquer un gigantesque tsunami. Toute véritable erreur pouvait signifier dix ans de travail supplémentaire… et même si son protocole empêchait, à priori, d’avancer tant qu’il restait des erreurs, on ne pouvait jamais être sûr à cent pour cent.

Aurélia gardait confiance. Il le fallait, elle n’avait pas le choix. « Les gens doutent beaucoup et ont peu de foi, moi c’est l’inverse », aimait-elle dire. La scientifique avait toujours pensé que le secret des grandes découvertes résidait avant tout dans une sorte d’illumination. Einstein avait du génie, mais seule sa foi lui avait permis de théoriser autant de principes, vrais ou faux, en tout cas tous fondamentaux pour les générations à venir.

La jeune femme avait donc toujours pris soin de faire vivre en elle ce grain de folie

propre aux grands inventeurs, ce feu ardent au plus profond de l’âme, murmurant que tout est possible, toujours, chaque nouveau jour qui s’en vient. C’est grâce à cela qu’elle avait franchi tant d’obstacles. L’acharnée avait dû se battre, depuis toujours. Se battre pour tout.

Pour convaincre les parents de s’orienter vers les sciences.

Pour décrocher son diplôme d’études supérieures.

Pour être acceptée dans l’université la plus élitiste du pays.

Pour obtenir sa place au prestigieux Institut Scientifique Mondial.

Mathématicienne hors pair, Aurélia n’était curieusement pas attirée par les mathématiques en eux-mêmes.

Seule la science l’intéressait.

Si pour construire la machine il avait fallu devenir experte en jardinage ou en peinture plutôt qu’en calcul, elle l’aurait fait sans hésiter. La jeune femme considérait son savoir comme un moyen et non une fin, et selon elle bien des chercheurs de talent s’égaraient dans leur passion : leur amour de la science, paradoxalement, les empêchait de penser trop loin.

La machine s’était mise à ronronner. Certains moteurs commençaient à chauffer, certains circuits à vibrer. C’est comme si elle trépignait d’impatience, plus encore que sa conceptrice. Quelle aventure… Lorsque Aurélia était entrée à l’Institut dix-sept ans plus tôt, sa conviction était faite : déjà, le projet habitait son esprit.

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