Lorsqu’une rumeur nait, surtout dans un village, elle peut bien vite devenir inarrêtable. On se met alors à soupçonner tout le monde… et tout prend des proportions hors-normes. Mais Lucas et son copain n’y peuvent rien : ils VEULENT savoir. Extrait de mon recueil d’histoires ludiques et philosophiques pour toute la famille « Les contes du Chat Farceur ».
— Eh, Lucas ! On va toujours au match samedi ?
Lucas c’est moi, et avec Arnold, mon meilleur copain, on est des fans de catch. Quoi, vous ne connaissez pas ? Mais si vous savez bien, cette lutte où des combattants s’envoient par terre, en l’air, et parfois même se battent en dehors du ring. La première fois que j’ai vu ça, j’ai cru que tout était vrai. Et puis, maman m’a expliqué que le catch était un spectacle : les coups sont contrôlés et répétés à l’avance, les matchs sont scénarisés. Comme au théâtre ! Sauf qu’au théâtre je m’ennuie, et au catch je saute sur mon siège. Il y a presque toujours un catcheur dans le rôle du gentil et un autre dans le rôle du méchant. Le premier a des couleurs plutôt vives, est loyal, communique avec le public.
Le second est en noir, ou en couleurs sombres, vocifère contre la foule, est fourbe et tente tout le temps de tricher. Alors bien sûr on acclame le gentil, on siffle le méchant, on crie, on lève les bras. Si le méchant gagne, on crie encore plus fort en pointant le pouce vers le bas et en accusant l’arbitre. Si le gentil gagne, on crie encore plus fort avec le pouce vers le haut. Bref on crie tout le temps quoi qu’il arrive, à s’en faire mal à la gorge. Autant dire qu’on rigole bien ! Je ne connais rien de plus défoulant et de plus excitant.
Le seul et unique risque dans le catch est pour les spectateurs qui reproduiraient ensuite les acrobaties chez eux. Ce serait comme s’entraîner à sauter du troisième étage sous prétexte qu’il y a des cascadeurs qui le font ! Heureusement, Arnold et moi on n’est pas si bêtes. Notre grande chance, c’est de voir des spectacles en vrai. Si, dans notre petite ville !
La plupart des fans ne regardent que les gros shows américains à la télé, nous on va voir de véritables lutteurs en chair et en os, au gymnase de la mairie, deux fois par mois. Bien sûr ce ne sont pas des catcheurs connus dans le pays entier, mais on s’en fiche. C’est mon père qui nous emmène. Il fait mine de le faire pour me faire plaisir… tu parles, je le vois bien qu’il aime lui aussi.
La fédération du coin ne compte que des catcheurs amateurs, c’est-à-dire que chacun exerce une autre activité à côté. Ils et elles (car il y a aussi des matchs féminins) se réunissent après le travail pour répéter les coups, les tombés et les prises. Ça n’a rien d’évident : il faut savoir se hisser au coin du ring en haut de la troisième corde, voltiger, sauter sur son adversaire, lui tourner autour, le soulever, l’aplatir au sol, encaisser les coups… Les prouesses exigent beaucoup d’entraînement. Les matchs ont lieu un week-end sur deux et à chaque fois on attend le jour J en trépignant d’impatience.
Arnold est dans ma classe, on est copains depuis la maternelle. En début d’année, nous étions les deux seuls fans de catch de toute l’école. Dans la cour, on se moquait de nous. Les quelques autres fans ne juraient que par les émissions américaines à la télé. Et puis, je ne sais pas pourquoi, ça a pris. Une copine est allée voir un match, en a parlé aux autres. Un copain y est allé, puis un deuxième, un troisième… et en quelques semaines tout le monde était devenu accro. Avec Arnold on était très fiers, c’est un peu nous qui avions lancé la mode. « On est des précurseurs ! » me dit souvent le copain, et même si je ne comprends pas bien le mot je suppose qu’il a raison.
Les lutteurs de la région, on les connaît bien. On adore se disputer sur qui est bon sur le ring et qui n’assure pas une cacahouète. Arnold préfère les méchants et moi les gentils. C’est mieux ainsi, sans aucune dispute ce serait moins drôle. Il y a Max le massacreur, un géant qui adore donner des coups interdits dès que l’arbitre a le dos tourné. Rosario, un gros musclé que j’apprécie bien.
Il y a aussi Bulldozer, un lutteur brutal mais loyal, et puis Bobby l’Eclair, un super athlète qui retombe sur son adversaire en saut périlleux. Et d’autres encore… Bien sûr ce sont des noms de scène. On imagine mal quelqu’un s’appelant Max le massacreur dans la vraie vie de tous les jours, et à l’inverse on imagine mal un catcheur se faire appeler Jean-Paul Duclou pour ses combats. Ce serait moins stylé, non ?
Malgré nos nombreux désaccords, mon copain et moi on est tous les deux ultra-fans d’un même catcheur : Mirador. Lui, c’est notre préféré. Un combattant qui saute, feinte, esquive, et exécute des prises incroyables que lui seul sait faire. Ce qui nous plaît aussi, c’est son masque : Mirador s’habillant en lutteur mexicain, il porte toujours un masque en tissu coloré, ne laissant rien voir de son visage, pas même les yeux. On ne l’a jamais vu démasqué, ne serait-ce qu’une seule seconde. C’est ce qui le rend si mystérieux…
Surtout, depuis trois ou quatre jours, Mirador est devenu le sujet de conversation numéro un, à Arnold et moi. Allez, je vous le dis : cette semaine, on a appris quelque chose sur lui, une énigme qu’on s’est jurés de percer. C’est notre secret… aucun copain de l’école n’est au courant.
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