La décision de Benjamin est prise. En ce soir de l’an 2100, il va partir, seul, sur les routes de France. Une décision difficile à assumer… personne n’est d’accord. Ni sa petite sœur, ni la police, ni l’assistante. Et les parents ? C’est compliqué… Extrait de mon roman initiatique « Nous les Indiens ».
Quand on a l’esprit à l’évasion, un étrange mécanisme opère en soi. Presque sans qu’on le veuille… tout s’enclenche tel un programme informatique. On devient caméléon, yeux changeant sans cesse de point fixé, volonté de devenir invisible. Et on se met à repérer toutes les sorties possibles. Trappes, portes, grilles, fenêtres, tuyaux d’aération. Zéphir croit que je mate des mouches et se dévisse le cou pour essayer de les voir. Je crois pas qu’on ait fait très bonne impression au juge.
Ce soir, Zèph’ et moi passerons notre dernière nuit ensemble. Au petit matin, je ne serai plus là. L’assistante n’a pas mis la phrase demandée, juste « tempérament fugueur ». Du coup, deux flics sont chargés de surveiller mes mouvements. Un dans la rue, l’autre dans le salon. Si, dans le salon ! Fais comme chez toi mec, tape dans les olives ! Les parents sont sous stress… eux aussi sont convoqués, pour demain. Avec moi en moins, ils en auront des choses à expliquer.
Et c’est pas tout ! Pile devant ma chambre, derrière la porte se dresse un de ces putains d’androïdes.
Je les déteste… je ne devrais pas, ils sont tellement plus prévisibles et soumis que les humains.
Il est censé m’empêcher de descendre, et est relié à l’ouverture de la fenêtre. Si je l’ouvre, en une fraction de seconde il se précipitera. Un engin monstrueux, sorte d’énorme œil unique monté sur quatre pattes. Le « design » est conçu pour impressionner. Zéphir n’en a pas peur.
Pour ma part, il faut croire que je préparais le coup depuis des lustres : mon petit boîtier, collé à la poignée, est en train de hacker tout doucement son système. L’administration est ringarde : elle pense encore que les robots sont capables de prouesses.
L’administration est hypocrite : sous prétexte d’humanité elle nous laisse encore quelques jours ici au lieu de nous mettre pour de bon en cellule, alors qu’il n’y a aucune différence. Enfin l’administration est absurde : quand bien même j’irais d’ici deux ou trois jours dans cette famille d’accueil, en quoi serais-je empêché de m’évader le lendemain ou la semaine suivante ?
J’ai vu Ronny s’approcher de la maison et partir en courant. Tchao poto ! Le pauvre, chaque fois qu’il vient ça sent l’embrouille. Faut dire, de passages en centres disciplinaires en exclusions d’établissements, mon dossier est chargé. L’année dernière on m’a même épinglé pour « tentative de cambriolage » alors que j’avais juste escaladé le toit pour observer la fille des voisins dans sa salle de bain, qui du reste, l’apprenant, avait eu l’air plus flattée que fâchée.
Quant aux centres, j’y ai appris tout ce que je sais. Castagne, approche en silence, escalade, crochetage de serrures, effractions.
Les petites frappes dans mon genre sont de véritables ninjas.
Après, je reste à part : je n’use pas de ces techniques pour faire de l’oseille. L’image d’un couple faisant l’amour ou d’une fille dévêtue vaut pour moi tout l’or du monde.
Dans mon lit, Zéphir a les paupières closes.
— Hep, Zèph’… je sais que tu dors pas.
— Je veux pas te voir partir.
— Qui te dit que je vais partir.
— J’ai raison, hein ?
— Bin… oui.
— Tu m’abandonnes ?
— Dis pas n’importe quoi. Seulement la famille d’accueil c’est nul. Heu, je veux dire, pas pour moi. Il nous faut un vrai endroit pour vivre. Quelque part où personne nous emmerdera.
— A la mer ?
— Ouais… possible… Ou à la montagne.
— Ou les deux à la fois ?
— On verra.
— Et si tu revenais pas ?
— Je serai toujours avec toi. L’assistante va te trouver des gens bien. Des parents.
— On en a déjà. Je veux rester avec papa et maman.
— Qu’est-ce tu veux qu’on fasse avec des parents pareils.
— C’est quand même des parents.
— Tiens, prends mon mobile. Je te le donne. Le perds pas hein ! Et le montre à personne, planque-le dans une peluche. Grâce à lui je saurai toujours te retrouver.
La petite main serra le téléphone. Elle savait. Depuis le début. Zéphir voit tout Zéphir sait tout, j’ai jamais rien pu lui cacher.
Si je ne reviens pas, c’est que je serai mort. Ça aussi, d’instinct elle le sait.
J’embrasse mon doigt puis le pose sur son front. Si je m’approche trop, elle m’entourera de ses bras et ne s’en détachera plus.
Le bourdonnement du boîtier m’indiqua avoir fait son office : j’étais débarrassé du tas de ferraille. Mon petit sac à dos fut enfilé, je n’avais pris que le strict minimum pour être le plus mobile possible. J’étais prêt pour le grand départ.
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