Plus lent qu’un pas en avant dans les sables mouvants

Quelques extraits choisis de mon recueil “Petites histoires pour chasser les mauvais esprits”…

Au royaume du noir

Voici venu le soir des démons intérieurs

Sortilèges à tout prendre pour enfants pas sages

Croque-mitaine mi-figue mi-raisin

Sortant de l’ombre

Face à la lune, profil aux étoiles

Ils arrivent, ils sont là

Se penchent sur le nouveau-né

De toute la tendresse qu’il n’a pas eue

Voici venu le temps des longs fantômes de pierre

S’effondrant sur eux-mêmes et retombant en neige

Collés à ton être, s’étendent à l’infini

Plus loin encore que tes horizons cachés

En tenue de nuit ils viennent te chercher

Pas de loup, œil de chat, cri de corbeau

Oui, les voici les voilà les sorciers à sornettes

Gris dedans, froids dehors, menant barque en son chemin

En secret, au creux de ton oreille, au cœur de ton esprit

Les voici, laisse-les

Ils ne sont qu’illusions

Epiderme

Mon corps me colle à la peau

Se répand en miettes dès qu’il tombe

Se relève lourdement, me rentre dans les os

S’accroche à moi dès le réveil, me suit partout

Plus vite encore que mon ombre

Indécollable il se tord, se casse, remue

Plus lent qu’un pas en avant dans les sables mouvants

S’endormant parfois au détour d’une décennie

Dépasse rarement le siècle

Croule sous le poids de quelques maigres années

Une carcasse sans nom

Qui se décompose

Encore plus vite que ma prose

Pour ça oui c’est un rapide

Mon corps me pèse et encaisse sans cesse

Esclave de la pesanteur

Cloué au sol telle planche de bois

Enraciné comme une plante à peine carnivore

Il s’attache, il s’accroche

Mon esprit et lui bataillent

Ah, vraiment

Il n’y a pas plus pot de colle qu’un corps

Pas viande plus coriace

Trempé de gouttes de pluie, il résiste

Abîmé, il se répare

J’y enfonce mes dents, le surchauffe, le gèle, le frappe

Et il est toujours là

Moi mort, il me survivra

Et je tiendrai ma revanche

Mon âme s’installera, et avec régal

L’observera redevenir poussière

L’observera s’en retourner à la terre

Compte les doigts

Un, deux, trois, quatre cinq

Le petit garçon compte ses doigts

Comme pour vérifier qu’il n’en manque pas

…Neuf, dix. Deux mains

Un, deux. Deux jambes

Il se mettrait bien pieds nus pour se compter les orteils

Maman ne voudrait pas

Elle, ne compte rien

Tête pleine de vide, ou remplie de soucis

L’un vaut-il l’autre ? Tout dépend si l’on voit le verre

A moitié vide ou à moitié plein

Regard dans le flou, yeux dans l’oubli

Attaché à sa main comme à une paire de menottes

Son petit compte :

Un, deux trois…

Il compte tout ce qu’il voit

Huit mégots par terre

Et cinq canettes de bière

Quatre journaux, trois livres dont trois lus

Pour passer le temps, il en conclut

Que les gens sont sales mais cultivés

A vingt-et-un le métro arrive

Encore un chiffre

Tiens, cette publicité à des tas de lettres

Et cette autre beaucoup d’images

Combien de lettres, pair ou impair ?

Trop tard

Le petit garçon ne saura jamais

Au fond il n’en a que faire

Finalement, chiffres et nombres le laissent froid

Il voudrait les laisser se compter tout seuls entre eux

S’en éloigner et partir courir, rire, chanter

Se rouler par terre, ou n’importe quoi

Pourvu que ce soit autre chose que ça

En lui ça vibre, ça étouffe

Ça voudrait exploser

Mais tout attentat est fortement réprimé

Par ce regard qui sait si bien froncer les sourcils

Par cette voix sans saveur qui sait si bien s’élever

Dans le wagon, en silence, impunément,

La maman assassine son petit garçon

J’irai périr dans les feux de l’enfer

« J’irai périr dans les feux de l’enfer »

Ecrit jeté

En lettres de feu sans fumée

Ma plume si belle

Au noir si intense

Glissant si joliment sur la feuille blanche

Comme une patineuse

Avec elle

Même cette phrase

Horreur d’entre les horreurs

Même ces mots semblent beaux

Dont chaque lettre se détache, se distingue

Comme un tout éclatant

Blanc sur noir, noir sur blanc

Tout s’inverse

Et le malaise devient bien-être

J’irai

Périr

Dans

Les

Feux

De

L’enfer

A force de l’écrire

Ma feuille s’est assombrie

Le papier s’est troué

Est devenu pâte

Presque papier mâché

Mon encre n’est plus

Mon souffle est court

Et mes yeux sont fermés

Epuisé, il n’y a plus qu’à laisser s’enfuir

Les idées obscures

Evacuées en cette missive

Qu’il me tarde de réduire en cendres

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