Et les beaux billets verts masquaient le ciel tout gris

Quelques extraits choisis de mon recueil « Petites histoires pour chasser les mauvais esprits »…

Le petit homme qui voulait devenir maître du monde

– Un poème dont vous êtes le héros… et non pas le zéro, encore moins un numéro.

Lorsque après la dernière ligne d’un chapitre il n’y a plus d’indication, c’est que vous êtes à la fin… faites donc bien attention –


Chapitre Un
 
C’était un petit homme
Qui rêvait, rêvait tout le temps

Il rêvait d’un sommeil réparateur
Celui-ci fut destructeur… tant et tant d’ailleurs
Que Petit Homme décida de devenir grand

Eh oui, il avait fait cette nuit rêve de grandeur

Songe de prédateur
Un peu trop grand pour lui
Car c’est ce matin-là, par cette journée-ci
Qu’il se mit en tête, qu’il se mit en quête

De devenir maître du monde…
Comme impossible n’est pas français
Et qu’il était somme toute breton
Ce fut pour lui le meilleur des dictons
Pour démarrer sa con-quête
Mais par où commencer ?

Ruser, étudier, attaquer par surprise ?


> Pour que Petit Homme aille se cultiver la pomme, allez chapitre sept, là où les livres font la fête
> Pour que ce petit futé demande conseil aux fortunés, allez chapitre deux, dans la rue du Merveilleux
> Pour qu’il prenne de la cocaïne afin d’approcher la création divine, partez chapitre trois, près de la croix de bois
 
Chapitre Deux
 
Dans la rue du Merveilleux

Les problèmes n’étaient pas car l’artifice était roi
Les murs de carton-pâte cachaient les sans-abri
Et les beaux billets verts masquaient le ciel tout gris
De drôles de messieurs habitant les lieux

Le prirent pour un des leurs, et donc sous leur aile
Lui enseignant comment

Construire sa grange sans être sur la paille

Il tenta, joua, gagna
Et le petit homme devint vite milliardaire
On lui baisait les mains en lorgnant ses bagues
On lui faisait des révérences intéressées


> Mais est-ce une chance de ne plus avoir à se battre ? Point de choix, une seule voie : rendez-vous au chapitre quatre
 
Chapitre Trois
 
On lui avait parfois dit qu’avec certains produits

Atteindre les cieux était formalité

En voilà une bonne piste
Et Petit Homme s’envole en toute allégorie

Cherchant inspiration en d’étranges paradis

Il nagea dans les airs, vola sous l’eau

Se démultiplia, devint géant, explorateur spatial

Et tant encore

Vous l’aurez saisi tout n’était qu’illusions

Illusions jolies, illusions plaisantes : illusions tout de même
Lorsqu’il redescendit, ce fut

Comme s’il atterrissait sous terre

Pourtant, il bondit de joie
Le produit avait laissé des traces

Il n’était plus tout à fait lui-même

Sûr de sa personne, Petit Homme prit la parole, brava les foules
Monta sur des estrades, disserta, blablata sans même se comprendre
Mais ses mots étaient savants, son langage maniéré, ses yeux étincelaient

C’est ainsi qu’il se retrouva à la tête

D’un parterre de junkies

Tous encore bien plus fous que lui

> Que va donc donner tout ce théâtre ? Pour le savoir, allez au chapitre quatre
 
Chapitre Quatre

 
Petit Homme se croyait maître du monde
Il parlait, on l’écoutait
Il se taisait, on observait son silence

Il était là, on le regardait

Il n’était plus là, on regrettait son absence
On répétait ses paroles en écho de montagne
On l’encensait tel un roi béni des dieux

Seulement…
Par un nouveau matin

(Il avait encore rêvé)

Petit Homme s’aperçut qu’il parlait dans le vide

Agitait les bras en brassant du vent

Cuisinait beaucoup de flan…

Bref :
De futilité en stupidité, il s’était égaré

Renfermé, tournant en orbite autour de lui-même
Maître d’un monde, certes,
Mais d’un tout petit monde

Et de peu de valeur
Que faire d’un tel pouvoir ? Voilà qui était bien embarrassant


> Pour qu’il monte une armée afin que l’ennemi trinque, allez au chapitre cinq
> Pour qu’il pousse encore plus loin son vice, allez au chapitre six
> Pour qu’il aille enseigner et abandonne sa quête, allez au chapitre sept
> Pour qu’il ordonne un suicide collectif histoire de mettre fin au blues, allez au chapitre douze
 
Chapitre Cinq
 

Brom, brom, les bottes battent le bitume

A l’unisson la marche résonne
Faisant trembler le sol et la chair à canon
Les réjouissances prirent fin sans tarder

Ici, le vainqueur est d’avance donné

C’est celui qui possède le grand Boum

C’est lui seul qu’on écoute

Les autres sont déjà vaincus

Avant même d’avoir combattu

Petit Homme et sa toute petite armée

N’en menèrent ni large ni lourd
Et la tentative fut vite réprimée

Réprimandée, tuée dans l’œuf

Achevée avant même d’avoir débuté

Sans doute était-ce mieux ainsi
Et Petit Homme amer
Atterrit case prison pour un paquet d’années
Equivalant pour lui à l’éternité
A l’abri des tourments du monde extérieur
Tout doucement, enfin, il se mit à méditer

C’était bien là sa première bonne idée
Peut-être était-ce un nouveau départ

Mais cela c’est une autre histoire

Peut-être en ressortirait-il maître

Espérons, oui, enfin

Maître de lui-même pour de vrai, pour de bon
 
Chapitre Six
 
Barbe longue et idées courtes
Yeux perçants en trompe-l’œil
Pieds nus et paroles osées et posées

Voilà notre petit homme métamorphosé

Rhabillé pour les quatre saisons à venir

Dans un jeu de dupes grandiloquent

Le voici messager, messie

Mais si !

Comme si Dieu et lui ne faisaient qu’un

(J’ai bien dit « comme si »)

Prophète en son heure, prophète en son temps
Prédictions, révélations, tout y passe

Et les foules de se déplacer au gré du vent
De son vent à lui

Que faire d’un tel pouvoir ?


> Pour que cet être immonde annonce la fin du monde, suivez cet hypocrite au chapitre huit
> Pour qu’il soudoie les autres et sévisse, allez chapitre dix
> Pour lui offrir une illumination à effet bœuf, allez chapitre neuf
 
Chapitre Sept
 
En tête à tête avec la bibliothèque
Petit Homme découvre qu’on n’a jamais fini d’apprendre
Se penche sur tout

Tout ce qui a des pages et comporte des mots

Il lit jour et nuit
Devient savant, se croit le meilleur

Sa poitrine se gonfle, sa tête se lève, son corps se redresse

Seulement

Petit Homme a tout, sauf

Sauf l’essentiel

Sauf l’expérience de tout ce qui ne s’apprend pas dans les livres

D’ailleurs même cela, il l’apprit dans un livre

C’est assez !
Petit Homme voulait faire passer la théorie de vie à trépas


> Fera-t-il connaissance du labeur en se nommant Grand Sauveur ? Pour que l’idée fasse son office, allez chapitre six
> Réussira-t-il sa vie par la force de l’esprit ? Pour explorer cet artifice, rendez-vous chapitre dix
> Ira-t-il affronter courageusement tous les dangers ? Pour ce destin de bonze, allez chapitre onze
 
Chapitre Huit
 
La fin du monde… allons bon

La belle affaire !
Y aurait-il pire chose à faire ?
Un temps de gloire intense, de rédemption…

Un temps pendant lequel il se crut maître du monde

Pour de vrai, pour de bon
Puis les jours passent, passent…

Et les fidèles le voient :
La fin du monde est là… autant que Petit Homme est prophète

Et les fidèles ne le sont plus

Et rien n’a en fait disparu

Et les fidèles s’en viennent, et les fidèles s’en vont

Encore plus vite qu’ils étaient venus
Et ce fut bien la fin d’un monde, le sien

Qui s’était réduit comme peau de chagrin

Jusqu’à l’invisible
Pour se consoler, Petit Homme se lança

Dans un élevage de scarabées

Dont il s’occupa bien
Maigre consolation
Qui sans aucun doute aucun
Lui servira de leçon
 
Chapitre neuf
 

Parfois le sommeil est destructeur

Parfois il vient vous sauver
La lune étant d’humeur généreuse
Un rayon vint chatouiller les songes du petit homme
Son esprit décolla
Il devint lumineux, lucide, clairvoyant
Et en se réveillant
Il était devenu prophète des pieds jusqu’à la tête
Seulement voilà : désormais spirituel
La gloire ne l’intéressait plus

L’argent non plus, ni même le cul
Alors, il nomma tous ses fidèles prophètes

Chacun égal à lui

Ce fut pour eux assez décontenançant

Un gourou n’agit jamais ainsi !
Puis il partit répandre

Bonnes paroles et bonnes actions
Discrètement, sans prétention


Ici et là, de par la terre, de par les mers
Cheminent des maîtres du monde

Maîtres à penser
Ils ne sont rien, ils sont beaucoup

On en a toujours un

Quelque part

Enfoui en chacun de nous
 
Chapitre dix
 

Ayant le pas du loup et la ruse du renard
Notre bonhomme releva les défis du Malin

Y prit goût

Découvrant le plaisir divin
Qu’est celui
De convaincre les esprits :
Faire de l’œil aux politiciens
Soudoyer les marchands du temple…
Pris dans l’engrenage, il se hissa toujours plus haut
Et bientôt, plus aucune âme ne lui résista
Parti de rien, il eut tout

Tout ce qu’il désirait et davantage

Et ce qui devait arriver arriva

Petit Homme s’aigrit et se lassa

S’apercevant un peu tard

Bien tard, si tard
Des illusions du désir

Maître du monde était d’un tel ennui

Qu’il abdiqua sur-le-champ
Redevenu tout petit bonhomme
Il put reprendre et finir

Ce qu’il avait commencé
A savoir sa tasse de café

Pour enfin finir cette matinée

Où décidément

Il avait beaucoup, beaucoup

Vraiment beaucoup trop rêvé
 
Chapitre Onze
 
Sur les chemins de tous les dangers
Petit Homme reçut coups et blessures

Blessures et coups

Coups de soleil, de pompe, de canon

Et même quelques coups du sort
Mais voilà soudain de drôles de bonshommes
Armés de flashs et de micros
Montrant à la terre entière
Ce qu’il endurait

Au départ un seul passa

Presque par hasard

Puis, ils furent mille en un tour de main
Pour faire bonne figure, Petit Homme ne dit rien

Rien de ses rêves de pouvoir
Et fit croire

Qu’il se battait pour la paix

Ainsi
Il fit trembler les puissants

Descendre les gens dans la rue
Le monde s’ébroua, les consciences aussi
Puis la cause le dépassa
Il n’en fut plus qu’un maillon
Les médias, ayant épuisé leur feuilleton
Ne renouvelèrent pas la saison

Case départ, anonymat

Tout à recommencer ?

Ah non !
Pas de regrets après tout
Quelque part
Pour quelques instants
Il l’avait bel et bien été, maître du monde,
Le tout petit homme à la tête ronde…
 
Chapitre Douze
 

Malheureusement, ou plutôt heureusement

Notre gourou de pacotille n’était pas dans l’air du temps
La mort de masse était ringarde

Déjà vue, dépassée

Pas la plus petite nouveauté !

Les disciples le quittèrent, vexés
En le traitant de fou

Ce qui n’était pas faux

Car froissé
Il décida de faire son suicide collectif
Tout seul

Un moindre mal me direz-vous

A l’aide d’une tonne de comprimés

Il tomba

De nombreuses heures inanimé

> Pour que la tentative échoue et ne soit rien qu’un bluff, allez en toute logique… au chapitre neuf
> Pour qu’il s’assoupisse sans que son repos jamais ne finisse, voyez cette hypothèse au chapitre treize
 
Chapitre Treize
 
Peut-être Petit Homme n’avait pas réussi sa vie
Mais il réussit sa mort
C’était toujours ça de pris
Il monta dans les nuages pour ne plus redescendre
Des siècles plus tard, pourtant, ivre d’attente
Il choisit un fœtus pour se réincarner
Certain qu’il tiendrait compte du passé
Et ne reprendrait plus ses bêtises
Seulement voilà : lorsqu’on renaît on oublie tout
Seul reste l’esprit
Une nouvelle bataille venait alors de s’engager :
Contre… et pour lui-même

La gagnerait-il ?

A chacun d’imaginer

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