Une machine pour voir « au-delà » des apparences ?

Et peut-être même une machine pour voyager dans l’au-delà. Pas de panique ! Nous sommes au début d’une histoire de mon recueil de nouvelles S.F.-Fantastiques. Dans lequel nous découvrons une scientifique persuadée de pouvoir partir à la rencontre… du divin ! Entreprise ambitieuse s’il en est. Périlleuse ? C’est à voir.

Deus ex machina

Chapitre I

Après deux jours et deux nuits d’ouvrage ininterrompu, il était temps pour Aurélia de s’accorder un répit. Certes, ce n’était pas sa première nuit blanche, d’ailleurs depuis l’adolescence elle était coutumière de la vie nocturne. Il lui fallait surtout se calmer. Freiner son excitation. C’est dans l’emballement des derniers instants qu’on peut commettre les pires erreurs… Surtout en science. Son envie de voir sa machine achevée la démangeait plus que jamais : il lui fallait rester prudente.

S’installant dans son divan, la jeune femme s’efforça de se détendre. Bien se calmer, fermer les yeux et laisser le sommeil l’envahir… Non, rien à faire : impossible de détacher le regard de l’édifice. Autant d’heures sans dormir n’était guère raisonnable, et même dangereux. La machine semblait détenir un pouvoir envoûtant, hypnotique. Et pourtant, tout ceci n’était jamais qu’un assemblage sans vie… seule sa finalité la rendait fascinante. Une finalité improbable, surréaliste, qu’on ne pouvait évoquer sans sourire… ou frémir, selon sa foi :

faire sortir Dieu en personne de sa tanière.

La lune honorait cette création par une douce lumière reflétant ses différentes parties. La turbine à molécules comprimés, l’accélérateur d’ondes, le viseur à particules, et bien d’autres mécaniques aux noms encore bien plus obscurs et barbares. Pour le profane ce n’était là qu’une masse imposante ne correspondant à rien de connu… en réalité, un véritable orchestre de boulons et de circuits, parfaite entente de mécanique et d’électronique harmonieusement liées.

Une construction colossale que ce grand atelier avait eu toutes les peines du monde à contenir. La scientifique avait dû retirer peu à peu tout le mobilier, de la bibliothèque aux lustres. Par bonheur, elle vivait en pavillon : aucun appartement n’aurait fait l’affaire.

L’organisme d’Aurélia se révoltait, ne cessant de réclamer une pause, une vraie. Elle parvenait de moins en moins à récupérer le manque de repos alors que la mission exigeait une précision et une concentration sans faille. Cela revenait à conduire au bord d’un précipice après avoir vidé un litre de cognac… L’aventurière avait pourtant foi en elle. Se servant un thé fumant, elle ferma les yeux et but à toutes petites gorgées, pour mieux optimiser la pause.

Optimiser ? Surprise d’une telle idée, la jeune femme se moqua d’elle-même.

Décidément je suis bonne pour l’asile, pensa-t-elle.

Voilà que je me considère moi aussi comme une machine, à vouloir rentabiliser le moindre geste. Je me recharge, je me perfectionne, je me répare lorsque je tombe en panne. Cette satanée machine a presque englouti cette pièce, à force elle m’engloutira à mon tour. Si ce n’est déjà fait. Serais-je devenue son extension ?

En général on dit l’inverse, qu’un engin est une extension de l’humain. Après… je l’ai conçue pour m’engloutir, et en fait pour de bon. Elle en meurt d’envie, je le sens, je le sais. N’est-ce pas que tu en meurs d’envie ma belle ? Patiente encore un peu, l’heure approche, l’heure est proche. Et ton désir est partagé… Mon rapport avec toi est un peu masochiste… limite sexuel.

Bien qu’elle ne s’attendait à aucun dialogue, la scientifique n’aurait pas été si étonnée d’une réponse de son invention. Ce projet était tellement fou… Pour le mener à bien, s’il avait fallu observer les protocoles d’usage, le résultat espéré en retirait toute la logique.

Comme si la réponse à une question rendait ladite question absurde. A n’en point douter, c’était la première fois de toute l’histoire de l’humanité qu’une telle invention voyait le jour, aussi pouvait-on s’attendre à tout. Ou bien à absolument rien. Même un engin à voyager dans le temps ou à distordre l’espace ferait pâle figure devant ce monstre.

A présent, Aurélia semblait dormir… semblait seulement.

La belle chevelure brune était enfouie dans un chignon, son grand corps fin caché dans une blouse blanche trop ample à laquelle s’ajoutaient des baskets presque miteuses et un jean effiloché. La jeune quadragénaire, qui faisait dix ans de moins, avait tout de la belle femme ignorant sa féminité.

Sa respiration s’était ralentie et soulevait doucement sa poitrine. Elle-même ne savait jamais plus bien quand elle était éveillée et quand elle ne l’était pas. Qu’elle perde un peu le sens des réalités était logique. Pourtant, son esprit continuait à carburer. Cet élément aussi était une sacrée machine. La nature même de l’invention l’y aidait : l’une était en phase avec l’autre. L’approche était totalement différente d’une fusée de la Nasa, par exemple, où la moindre erreur de calcul se répercutait sur le reste sans que l’on s’en aperçoive, s’étendant, invisible, jusqu’au choc.

Là, au contraire, toute erreur empêchait de produire l’étape suivante.

Rien qu’expliquer pourquoi aurait demandé une thèse entière, et que seule une poignée d’initiés saisirait. Ainsi, l’esprit d’Aurélia baignait dans un océan de nombres, de chiffres et de signes. Et ceci presque au sens propre, tout du moins c’était son sentiment. Il lui suffisait de fermer de nouveau les yeux pour que les valeurs mathématiques fondent sur elle, fassent des vagues, se rassemblent puis se dispersent pour s’unir de nouveau.

Une danse, une véritable valse flirtant avec l’infini, qui ne s’arrêtait jamais et possédait quelque chose de diabolique. Un comble. Parfois, cette marée était confuse et la faisait douter… Il y avait alors des courants contradictoires et des tourbillons. Parfois elle était harmonieuse et formait des chaînes de vaguelettes parfaites.

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