Petite fugueuse en quête de nouveau départ

Extrait de mon roman initiatique « Nous les Indiens ». Emilie, enfant ayant spectaculairement fugué de chez elle, cherche un nouveau sens à sa vie. Après avoir dormi sur le toit d’un petit immeuble, la voilà qui observe un parking de camping-cars où les nomades arrivent et repartent…

Son ticket gagnant apparut à la troisième allée. Un homme seul, plus distrait que les autres, s’affairait autour d’un véhicule trop grand pour lui. Blond, mince, cheveux mi-longs. Même si l’habit ne fait pas le moine, le bonhomme avait l’air plutôt sympathique.

Ses vêtements, d’une banalité affligeante, avaient dû être enfilés n’importe comment. Qui dit négligé dit peu vigilant, nouveau bon point. Il semblait soucieux, ne cessant de jeter des coups d’œil aux alentours. Un fugueur lui aussi ? Il n’avait plus l’âge, quoi qu’il n’y a pas d’âge. Emilie avait la société aux trousses, lui c’était peut-être sa femme, son travail, les huissiers. Quelle qu’en soit la raison, lui aussi était en fuite. Cette lueur dans le regard… la même qu’Emilie.

L’homme était si occupé à surveiller les alentours que la fugueuse n’eut aucun mal à ouvrir la porte et entrer.

A l’intérieur, une vraie petite maison.

Cuisine, lit, douche. La belle vie quoi. Elle se glissa dans la douche et ferma la vitre, heureusement assez opaque. Puis s’assit et ne bougea plus. Si par malheur elle était découverte, elle pourrait toujours hurler en faisant mine d’avoir été enlevée. Ou non, plutôt le menacer de le faire s’il ne l’emmenait pas. Ou alors inventer une histoire de méchants lancés à sa poursuite. Elle choisirait en fonction de l’air qu’il ferait en la voyant.

L’ennui, si elle optait pour la seconde solution, c’est qu’elle racontait drôlement bien les histoires d’elfes et de dragons mais ne savait pas tellement mentir. Même si elle prétendait de façon très convaincue être poursuivie par un dragon, la croirait-il ? Elle en était à ces réflexions quand le moteur se mit à vrombir. Son ange assurait. A présent, la vraie attente commençait. Plus ce serait long, plus loin serait la région de départ. Etre compressée sans pouvoir bouger d’un pouce était peu agréable, le pire était d’être dans une douche sans pouvoir s’en servir. Emilie se contorsionna pour sortir carnet et stylo de son sac.

Son ambition était de noter toutes les astuces à retenir au gré des évènements. Elle nota que les aires de camping-cars étaient un bon plan, et qu’il fallait attaquer au matin. En même temps, en cas de capture, chaque écrit serait à charge contre elle… tant pis, c’était trop plaisant. Il y avait une petite prétention dans la démarche : toute victoire serait couchée sur papier.

L’autoroute. Les premières dizaines de bornes furent durent à avaler. Le camping-car était sur une zone No-Road, ces énormes tapis roulants faisant avancer les véhicules. Plus rien ne fonctionnait bien depuis longtemps et ces passages donnaient l’impression de rouler sur un lit de cailloux. Encore heureux que ces saloperies ne soient pas sur toutes les routes de France, se dit-elle. L’homme ne semblait pas s’en soucier… il fredonnait des classiques de rock comme si c’était des blues, ignorant qu’il avait un public.

Ça aidait à passer le temps… Le moteur, pas bien neuf, faisait un sacré boucan.

Avec un tel bruit, ouvrir la vitre de la douche ne s’entendrait pas.

L’enfant jeta un œil prudent… le conducteur n’avait aucune vue sur cet espace. La petite sortit à pas de loup et s’étendit. Ses muscles étaient engourdis, une heure ou deux au moins avaient dû passer. Les alentours étaient sobres, aucune décoration ni sens de l’ordre, pas besoin d’en voir plus pour deviner qu’un célibataire habitait les lieux. Elle lui aurait volontiers refait sa déco. Ce devait être un modèle milieu de gamme : tester ces camping-cars se transformant en vraies maisons avec des toits imitation tuiles, faux murs de briques rouges et paliers ne serait pas pour aujourd’hui.

Emilie sortit les biscuits de son sac, puis se surprit à ouvrir tiroirs et placards. Il y en avait peu, la fouille serait rapide. Autant économiser les biscuits pour plus tard et chaparder un peu de nourriture : le célibataire était adepte des repas en poudre. C’était parfait, il suffisait de mélanger avec un peu d’eau dans un verre et en quelques gorgées on avait tous les nutriments nécessaires dans l’organisme. Ainsi fut fait.

On ralentit. Emilie se précipita vers son refuge et referma la vitre.

Elle se hissa au petit hublot situé au-dessus du pommeau, par lequel elle n’avait, curieusement, pas encore songé à regarder. Voitures et verdure à perte de vue. Champs, usines abandonnées, champs, usines abandonnées… Comme un peu partout dans le pays.

Raison du ralentissement, la police avait formé un barrage et arrêtait certains conducteurs. En général, on cherche les enfants fugueurs dans les trains, sur les bords de route ou les cages d’escaliers… jamais les autoroutes. Elle s’était crue futée en choisissant cette voie, ils avaient peut-être anticipé. Cette supposition n’était-elle pas trop vantarde ? Qui se souciait à ce point d’une simple gamine ?

En observant mieux, la fillette s’aperçut qu’effectivement elle ne semblait pas concernée. La police n’arrêtait que les hommes seuls. Ni femmes, ni familles, ni vieux. Sur le coup elle se sentit presque vexée. Chaque véhicule pouvait être bloqué un bon moment, la flicaille n’était pas pressée. Il y avait une file spéciale « hommes seuls » : un drone passait devant les véhicules, analysait, puis affichait une couleur, signalant ainsi au conducteur de se placer dans la file d’attente ou de poursuivre sa route. L’homme respirait fort, très nerveux, presque paniqué. Au moins allaient-ils le coincer ce monstre… mais ils fouilleraient le camping-car et la trouveraient elle aussi.

Emilie se dit qu’il valait mieux pousser davantage son enquête.

Qui sait si elle ne l’avait pas jugé trop vite. Elle poursuivit donc ses fouilles… et soudain, aperçut un élément qu’elle n’avait pas remarqué jusqu’alors. Sa peur partit en fumée. Ou plutôt, désormais elle était comme lui, ne craignant plus que la police. Sachant l’homme en grande difficulté, l’enfant avança sur la pointe des pieds et se plaça juste derrière le siège : elle venait d’avoir une idée. En le sauvant lui, elle se sauverait elle aussi.

Une vitre de portière s’abaissa.

— Bonjour monsieur. Papiers du véhicule s’il vous plaît.

— Oui… tout de suite !

Sa voix était douce, faussement apaisée : il tentait de masquer son stress.

— J’ouvre à l’arrière ?

— Une chose après l’autre. Dans l’immédiat présentez-moi une pièce d’identité.

Le policier observa la pièce tendue. Puis l’individu. Puis la pièce, puis l’individu. La plupart des contrôles se faisaient par des robots, si là c’était un œil humain ce n’était pas pour rien.

Le conducteur s’efforçait de prendre l’air détaché. Le drone s’était arrêté, ce cyclope noir aux reflets rouges le fixait également : il était en train de tout mesurer, flasher, photographier, calculer. Sueur du visage, rythme cardiaque, souffle. Par signaux lumineux, il transmettait des codes au flic indiquant que le suspect se comportait bien comme tel.

Le policier s’apprêtait à faire sortir l’homme du véhicule lorsqu’une gamine de onze ou douze ans apparut. Ses bras entourèrent le conducteur et sa tête se posa contre son épaule. Elle se frotta les yeux, bailla.

— Papa ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi on n’avance plus ?

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