Quand l’humain moderne redécouvre la nature…

…et ses cinq sens. Mais aussi son instinct animal et ancestral ! Emilie et Benjamin, deux petits fugueurs en cavale, cherchent à se redécouvrir. Chaque pas est pour eux comme une nouvelle expérience de développement personnel… Extrait de mon roman initiatique « Nous les Indiens ».

Ils firent quelques pas. Emilie avoua ne pas avoir prévu, cette fois-ci, de programme particulier. Sa seule volonté : qu’ils redécouvrent leurs sens, les cinq, peut-être aussi le sixième.

Ouverte à toute suggestion, ils décidèrent d’improviser.

Leurs pas cessèrent de s’enfoncer dans le sable et se posèrent sur la terre de la forêt, un peu plus loin. La terre et ses épines, ses cailloux, ses pierres et orties.

Cela va sans dire, ils étaient pieds nus et prirent soin de passer par les chemins les moins commodes pour redécouvrir le toucher, sautillant, s’accrochant l’un à l’autre et serrant les dents dès qu’un corps étranger faisait la vie dure à l’épiderme. Ils avancèrent ensuite en fermant les yeux, se laissant guider par les odeurs. De leurs bras, ils enlacèrent des troncs d’arbres et sentirent tout ce que la nature avait à offrir, des fruits rouges à la sève, des plantes multiples aux racines, des crottes de lapin aux terriers en passant par l’écorce, la mousse et le pollen.

Même les cailloux furent sentis, et la rosée du matin, encore présente, exhalait tout parfum. Bien vite, leurs vêtements se mirent à les gêner, d’autant qu’ils étaient désormais froissés et terreux, et ils s’en débarrassèrent sur une branche… de toute façon le temps se réchauffait. Les enfants escaladèrent ensuite les arbres et se firent peur, montant jusqu’à dix fois leur taille pour vérifier que les pins sentaient pareils en haut et en bas, apercevant au passage quelques écureuils.

Ils en pistèrent plus d’un, l’animal leur échappa dans les airs, puis le lapin s’enfuit dans son terrier et le sanglier s’enfonça trop loin dans la forêt. Alors qu’ils allaient abandonner, ils tombèrent sur la piste d’une biche qu’ils suivirent en reniflant comme des chiens. Ils purent l’observer au bord d’un ruisseau, qui se désaltérait. Après quoi, ils s’allongèrent pour laper eux aussi quelques goulées, se sentant de plus en plus animaux.

Ils suivirent ensuite des êtres moins craintifs, les insectes, admirant l’araignée tisser sa toile, les scarabées mâles se battre pour les belles antennes d’une femelle, les papillons papillonner en couple et la coccinelle se poser sur le doigt d’Emilie. Ce fut la fourmilière qui attira le plus leur attention, on y livrait une fabuleuse bataille entre deux castes, rousses contre noires.

Les pattes se poussaient, les carcasses se bousculaient et les bouches s’entredévoraient, à la fois extraordinaire et terriblement cruel.

Même ici il y a la guerre, se dit Emilie.

Ce qui nous semble paisible et serein n’est jamais qu’un point de vue.

Pourtant, elles se la font sans méchanceté. Sans doute la violence est-elle dans le code génétique du plus petit atome et que toute vie, même la plus microscopique, y est vouée.

C’est pour ça que l’amour a tant de valeur, justement parce qu’elle ne coule pas de source. Comme l’amitié, la tendresse ou la complicité. Amour et guerre, ces deux éléments m’ont l’air imbriqué l’un dans l’autre, jusqu’au point le plus reculé de l’univers, jusqu’au point le plus proche, infiniment petit, infiniment grand.

La nature était passionnante, offrant un terrain de découvertes illimitées. Benjamin et Emilie voulaient tout voir, tout entendre, sentir, toucher, goûter. S’ils en avaient eu le temps, il auraient regardé pousser les arbres.

Au retour, ils se dirigèrent vers le soleil couchant et le son de la mer. Ils reprirent leurs vêtements sous le bras.

Chacun était terreux, égratigné, mille senteurs de forêt posés sur eux.

On aurait pu retirer de leur peau un stock de brindilles, de mousse, d’écorce et cinq ou six toiles d’araignées.

Au camping, ils se rendirent au bloc sanitaire. Ils y croisèrent Blandine, qui rit en les apercevant.

— Eh bé ! Des comme vous, pas à dire j’en avais encore jamais vus. Vous revenez de la guerre ?

— On a joué aux animaux dans la forêt, lui lança gaiement Emilie.

— Vous vous êtes frottés contre les troncs comme des ours et roulés dans la terre comme des cochons ?

— Voilà.

Blandine les observait avec malice. D’un œil gentiment suspicieux. Elle ne savait pas d’où ils venaient ni qui ils étaient au juste… La copine n’était pas si bête.

Tout compte fait, elle se doutait qu’ils n’étaient pas frère et sœur.

Que d’une façon ou d’une autre il y avait anguille sous roche. Mais Blandine n’avait pas l’intention de chercher plus loin, considérant que c’était là leur affaire, leur secret.

Sur ce, elle retira son paréo et se doucha en leur compagnie, offrant sans le savoir, ou en le sachant très bien, un beau cadeau à Ben. Et si Emilie était un peu jalouse, c’était surtout vis-à-vis de cette petite surveillance parentale sur la copine, qui rebutait le garçon, qui l’attirait elle. Emilie aussi aurait bien voulu un papa ou une maman pour l’engueuler de temps en temps. Liberté, contrainte… on ne peut pas tout avoir.

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