Une formule mathématique pour rencontrer Dieu ?

Extrait de mon recueil d’histoires S.F.-Fantastiques « Vortex ». Dans cette histoire, l’héroïne, une scientifique, pense faire une découverte hors du commun. Allant à l’encontre de ses principes et convictions. Car il peut arriver, paradoxe s’il en est, que la science sombre dans l’irrationnel. Que les calculs, principes et théorèmes sa marient avec la croyance

L’étincelle survint lors du concours aux classes préparatoires. Le travail achevé, l’étudiante se relisait avant de rendre copie. Au détour d’un exercice en apparence anodin, elle débusqua une erreur et s’apprêtait à la corriger.

Et fit la découverte de sa vie.

Car l’erreur n’en était une que si l’on s’en tenait à l’énoncé. La considérer hors de son contexte donnait à l’opération un sens tout autre.

D’une banale équation, on basculait soudain dans une autre dimension, un monde fou, magique. A présent, c’était l’ébauche d’une formule qui se dessinait. Sa signification était si incroyable qu’elle en eut le souffle coupé. Aurélia devint pâle, tremblante, ses yeux ne pouvant se détacher de la copie. Elle crut voir la formule s’agrandir, prendre du relief, sortir de la feuille. Elle crut voir les chiffres grossir et emplir tout l’espace environnant puis le bâtiment entier.

Sa conviction venait de naître.

Elle avait sous les yeux la formule universelle, ultime : celle qui permettrait d’atteindre Dieu.

Bien entendu cette formule n’était en rien un résultat, plutôt les données du problème. Un chemin, ou une indication de chemin, une sorte d’esquisse tenant sur une petite ligne.

Seul un esprit révolutionnaire comme le sien pouvait en déceler toute la force, là où n’importe quel professeur académique eut considéré cela comme une étourderie. Un coup de maître est ainsi : il met toute modestie de côté. Sueur au front, cœur battant, l’étudiante recopia la formule sur un brouillon. Sur l’originale, elle savait ce qu’il fallait corriger pour obtenir le point, mais ne put s’y résoudre.

Cela lui aurait semblé sacrilège, comme une profanation. Elle conserva précieusement la formule et la fit évoluer pendant des mois, puis des années, cette formule qui l’accapara plus encore qu’un nouveau-né. L’équation devint plus complexe, s’affirma, prit du galon, évoluant jour après jour.

Elle provoquait la scientifique, la poussait dans ses retranchements, parfois même se moquait d’elle.

Une sorte de relation se créa.

D’une ligne, elle en devint dix, puis les pages se multiplièrent. La jeune femme vivait avec elle un rapport fusionnel, mélange de haine et de passion… Nombre de vieux couples fonctionnent ainsi. Les ressources de l’opération semblaient sans limites, dès qu’elle pensait en avoir puisé toute la moelle de nouveaux embranchements apparaissaient. Aurélia crut que ce travail ne connaîtrait pas de fin, que le résultat resterait à jamais inaccessible.

L’idée aurait plu à un homme de religion. Dieu étant illimité par nature, comment espérer le synthétiser ? En réalité, Aurélia ne cherchait aucune synthèse. Elle désirait « simplement » trouver le moyen d’atteindre cette entité ultime. Concevoir un tunnel, un lieu de passage entre Lui et l’humain. Ni croyante ni athée, la jeune femme restait persuadée que Dieu, s’il existait, était intimement lié à l’homme.

Dieu est en l’homme, l’homme est en Dieu, il ne pouvait en être autrement.

Un pont de communication existait donc quelque part, non de façon imagée mais dans le réel. Un pont qui serait mille fois plus efficace que la plus sincère des prières.

Travaillant sans compter ses heures, le temps passa en un clin d’œil pour notre aventurière. Bien des embûches l’attendaient. Pour être une grande découvreuse, la foi, le savoir et le génie sont indispensables… mais insuffisants. Il faut surtout être pourvu de tous les défauts du monde et s’en servir à bon escient. L’inventeur a le devoir d’être blasphémateur. Il doit mépriser le monde entier et se convaincre de détenir la vérité ultime. Il doit être impatient, colérique, nerveux, et renier toutes les valeurs qu’on lui a enseignées.

Ce n’est qu’à ce prix qu’Aurélia put finaliser la formule.

Toute la théorie fut un jour couchée devant elle, sur quelque sept-cents pages. Pour une telle signification, après tout ce n’était pas tant. Ses loisirs, ses vacances, ses nuits y étaient passés. Elle avait mené une existence d’ermite, une vie sexuelle de nonne (encore qu’Alfred la dépanna de temps à autre), mais qu’importe.

Et tout cela sans la moindre garantie de succès ! Lorsque le dernier chiffre de la théorie fut rédigé, ce ne fut que pour passer à la pratique : le pavé manuscrit marquait un début, non une fin. Un second challenge l’attendait, encore bien plus ambitieux que le premier. La machine, aplatie noir sur blanc, ne demandait qu’à atteindre la dimension divine promise.

Aurélia s’était aussitôt mise en quête de fonds.

Officiellement, sa machine permettrait d’observer les molécules avec une nouvelle approche. Là encore, tout dépendait du point de vue… L’objectif était simple à « falsifier ». Plus d’un collègue lui reprocha d’accorder trop de temps à une invention si mineure. Au vu de son talent, on lui prêtait de plus grandes ambitions.

Il est vrai que les machines moléculaires on en inventait une nouvelle tous les ans… on ne comptait plus les « nouvelles approches ». Ceci dit, la haute académie aimant investir dans ce qui est beau et inutile, son dossier fut accepté sans trop de peine : les années suivantes purent être ainsi entièrement consacrées à la construction.

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